(Nicolas Janel – Séminaire de Jean-Richard Freymann du 24/05/2022)
Je vais reprendre quelques éléments qui peuvent faire pont entre la question du sinthome qu’est venu nous présenter Ferdinand Scherrer lundi dernier au séminaire d’introduction à la psychanalyse de la FEDEPSY, et la question des fins d’analyse du séminaire de Jean-Richard Freymann.
Il y a en effet une issue spécifique de la cure qui se dessine avec la théorisation du sinthome où le père se retrouve comme « négativé », c’est à dire mis en absence... Une mise en absence pour en faire quelque chose. J’y reviendrai mais je la cite tout de suite. Lacan débouche sur cette fameuse phrase : « la psychanalyse, de réussir, prouve que le Nom-du-père, on peut aussi bien s’en passer, à condition de s’en servir ». « Le sinthome serait alors la réponse d’un sujet confronté à l’obligation d’assumer sa singularité, donc sa solitude (Lacaniana) ».
Reprenons maintenant brièvement l’évolution théorique de Lacan. Le dictionnaire de psychanalyse de Chemama et Vandermersch nous rappelle que dans « La Troisième » (novembre 1974) et dans le séminaire R.S.I. (1974-75), Lacan proposait un nœud borroméen illustrant le nouage des trois registres psychiques que sont le réel, le symbolique et l’imaginaire avec un quatrième rond qui sous-tend l’ensemble et qu’il désigne :
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Soit par la réalité psychique.
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Soit par le complexe d’Œdipe comme ce qui soutient l’ensemble.
Lacan désigne aussi ce quatrième rond par le Nom-du-Père, puisque le Nom-du-Père organise l’Œdipe.
Lacan associe ensuite la nomination symbolique au Nom-du-Père puisque la nomination symbolique est du ressort de la fonction paternelle.
Et comme la nomination symbolique fixe le symptôme, le quatrième rond peut donc s’appelé tout aussi bien le symptôme.
Le quatrième rond devient donc à cette étape de la théorisation le symptôme.
Le problème est alors de distinguer les symptômes qui sont constitués en référence au Nom-du-Père et ceux qui ne le sont pas. C’est pourquoi Lacan dénomme ensuite ce quatrième rond « sinthome ». Il s’agit de l’ancien orthographe de « symptôme » qui « par rapport au symptôme fait entendre « sainteté » tandis qu’il fait disparaître la syllabe pto qui signifie la chute (ptoma) » nous dit le dictionnaire Chemama. Le sinthome vient donc garantir la fonction du père comme un saint homme divinisé dont la présence se négative puisqu’il a chuté. Telle la figure topologique du tore, le sinthome se conçoit comme entourant alors un vide nous disait Ferdinand Scherrer. Et c’est sa mise en acte, l’acte de création, l’acte d’écrire de Joyce par exemple, qui lui assure sa fonction1.
Il est bien préciser dans le chapitre de Lacaniana de Safouan consacré au séminaire 23, qu’avec le sinthome, Lacan s’éloigne d’une figure du Père qui soumettrait tout entier les fils à l’amour qu’ils lui portent. Avec le sinthome, Lacan s’éloigne d’une version de la réalité psychique, finalement non unique, qu’était une version avec le père qu’il nommait avec un jeu de mot la « père-version ». « Lacan va montrer qu’une voie existe pour que le sujet ne reste pas suspendu à cette dite « père-version » (…) d’où la fameuse phrase : « la psychanalyse, de réussir, prouve que le Nom-du-Père, on peut aussi bien s’en passer, à condition de s’en servir ».
Ferdinand Scherrer nous proposait l’idée que l’analysant accepte la place vide qu’occupait le Nom-du-Père : passer du Nom-du-Père au père nommant, c’est-à-dire à la création symbolique. Autrement dit devenir poète nous disait-il !
Mais un problème ne se pose-t-il pas ensuite avec la nécessité de répéter sans fin la mise en acte perpétuelle de ce sinthome ? Car autant le Nom-du-Père tient la structure de fait, autant sa négativation dans la voie de la dynamique sinthomale nécessite un mouvement toujours reconduit. Tel Sisyphe exilé poussant son rocher, cette version de l’issue de la cure n’est-elle pas finalement isolante et aliénante pour le sujet ?
Lacan dit que le sinthome est purement le produit d’un art, d’un savoir-faire, la question de l’adresse à un autre ne semble pas très présente et l’inconscient n’interviendrait pas dans sa fabrication. A ce titre, il qualifie Joyce de « désabonné de l’inconscient ». Quel rapport le sinthome entretient-t-il alors avec le désir inconscient du sujet ? Le rapport réside peut-être dans la question de son choix. Lacan précise en effet que le sujet choisit son sinthome. Le sujet n’y serait pas partie prenante mais le choisirait. Presqu’à l’opposé du symptôme, subi par le sujet mais où il est partie prenante.
Le sinthome ne serait-il pas finalement à prendre comme un outil, une prothèse possiblement créée dans la cure, donnant une possibilité d’assise supplémentaire à la structure, mais qui serait à ouvrir à côté de la question du désire et du sujet ? L’un n’empêchant pas l’autre, mais l’un, l’axe du sinthome, facilitant peut-être l’autre, c’est-à-dire l’axe du désir ? Un peu comme à la manière d’une prothèse permettant la marche, mais marche qui ne pourrait s’activer que par une autre voie, qui serait la voie du désir ? Ce que l’on retrouverait d’ailleurs chez tout le monde, personne ne fonctionnant avec un nœud borroméen à 3 ronds parfaitement noués. Il y aurait toujours, plus ou moins, ce quatrième rond. Ce raboutage répondant par suppléance chez chacun à une certaine carence paternelle. Autrement dit, le sinthome viendrait plus ou moins chez chacun répondre à une « forclusion de fait », n’empêchant pas et permettant peut-être même, la question du désir par ailleurs.
Concernant les fins de cure, le psychanalyste ne pourrait pas concevoir l’issue de la cure uniquement par la voie du sinthome. Car cela ne serait-il pas comparable à un chirurgien qui voudrait faire remarcher un paraplégique en réalisant une prothèse vertébrale, mais sans se soucier de la moelle épinière lésée ? Autrement dit, concernant les fins d’analyse, la fameuse phrase « le Nom-du-Père, on peut aussi bien s’en passer, à condition de s’en servir », n’exclurait pas d’un autre côté la question de « savoir y faire avec son symptôme », c’est-à-dire là où la question du désir est mis en jeu.
Je lance encore quelques questions, entre autres, à développer :
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Quelles différences plus précises entre le symptôme et le sinthome ?
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Ferdinand Scherrer parlait du sinthome comme l’essence (essance) du symptôme. Mais comme déjà dit, si le sujet est partie prenante de son symptôme, qu’il y est acteur, cela ne semble pas être le cas avec le sinthome « désabonné de l’inconscient » ?
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Quels rapports entre le sinthome et la sublimation ?
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Et donc quels rapports entre les pulsions et le sinthome ?
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Dans le devenir des pulsions après la cure, quels ponts peut-on concevoir avec la question du sinthome ?
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Les pulsions libérées après la traversée du fantasme au cours de la cure, ne permettent-elle pas le passage du sinthome à la sublimation ?
1 Question au passage : cela fonctionne-t-il en s’adressant à quelqu’un ? Joyce s’adresse-t-il à quelqu’un dans son acte d’écriture ? S’adresse-t-il à la postérité par laquelle il se ferait un nom plus tard et qui lui permettrait de vivre au présent ?