(Nicolas Janel, juin 2021)1
Je vais partir des pathomimies pour ensuite essayer de vous faire saisir de manière plus générale, comment la question du corps se pose psychiquement pour l'être humain. Cela en espérant vous apporter un éclairage suffisant pour vous aider à vous positionner dans la pratique de votre métier face aux différentes situations mettant en jeu les intrications psychiques et corporelles : par exemple, face aux atteintes corporelles avec modification du corps et de sa forme, notamment dans les questions tournant autour des cicatrisations.
Alors commençons avec les pathomimies. Dans des cas rares, vous pourrez rencontrer des gens qui présentent des plaies qui ne cicatrisent pas. Cela après une intervention chirurgicale, ou au contraire chez des patients qui se présentent d'eux-mêmes avec une plaie ou une brûlure qui ne cesse de ne pas guérir.
Après de multiples tentatives de rattrapage, de prise en charge adaptée par les soignants, leur cicatrice deviendra de plus en plus problématique. Sa persistance ne pourra s'expliquer par la seule logique médicale. Les soignants ne pourront alors exclure une pathomimie.
Le terme pathomimie viens du grec « pathos »qui signifie maladie, souffrance et du latin mimus, qui vient du grec ancien « mîmos »qui signifie « qui imite ». Ça « imite une maladie » donc. Le terme de pathomimie a été créé en 1908 par l'écrivain Paul Bourget à la demande du professeur Georges Dieulafoy pour désigner je cite : un « état morbide voisin de la mythomanie, caractérisé par le besoin qu’éprouvent ceux qui en sont atteints de simuler une maladie. Parfois même au prix d'une automutilation ».
Dans le secret, le « pathomime » pourrait-on dire si on veut le réduire à une étiquette diagnostique, le « pathomime » donc porte atteinte à son corps et provoque délibérément ses symptômes. Il s'agit là d'un diagnostic que l'on range dans les troubles factices au sein de la classification internationale des maladies (CIM 10). Voici la définition que l'on y trouve :« simulation répétée de symptômes, sans objectifs évidents, avec parfois automutilation dans le but de provoquer des signes ou des symptômes. Les motifs ne sont pas clairs, et probablement internes, visant à obtenir un rôle de malade et s'accompagnant souvent d'une perturbation nette de la personnalité et des relations ».
Historiquement, plusieurs formes ont été décrites : l’apotemnophilie par exemple, qui désigne la mise en jeu de l'amputation d'une partie saine du corps 2. Autre exemple, la thermopathomimie qui utilise la manipulation du thermomètre ou la provocation d'une infection pour mettre en jeu la question de la fièvre ; ou la dermopathomimie, qui cause des lésions au niveau des parties découvertes, excoriations, ulcérations. Il y a aussi les hémorragies provoquées comme dans le syndrome de Lasthénie de Ferjol 3décrit en 1967 par le professeur hématologue Jean Bernard. Le patient peut dans ce cas effectuer des dons de sang répétitifs ou des scarifications sous anticoagulants… provoquant ainsi une anémie ferriprive. Citons encore les hypoglycémies provoquées par injection d'insuline chez des patients se disant diabétiques par exemple.
Enfin, une des pathomimies les plus connues est le syndrome de Münchhausen, baptisé ainsi par le médecin endocrinologue et hématologue britannique Richard Asher, en 1951, concernant un schéma d'automutilations ayant pour but d'attirer l'attention des membres du corps médical et de les convaincre de l'existence d'une pathologie. Asher a baptisé ce trouble en référence au roman de Rudolph Erich Raspe et à son héros, le baron de Münchhausen. Ce dernier était un militaire officier allemand qui aurait vraiment vécu à la fin du 18e siècle et qui se serait attribué des exploits invraisemblables. Le baron de Münchhausen était également connu en France sous le nom de « Baron de Crac » terme tiré du mot « craque », signifiant mensonge.
Si cela pouvait évoquer davantage la mythomanie, le nom du syndrome de Münchhausen a été gardé pour les formes de pathomimie les plus sévères dans lesquelles la simulation de la maladie est l'activité centrale de la vie du patient. Son dérivé mieux connu, le syndrome de Münchhausen par procuration, consiste quant à lui à provoquer des symptômes chez un tiers, qui miment une pathologie d'origine mystérieuse. Ce tiers est généralement un enfant, possiblement appréhendé alors comme une extension d'une partie du corps du « pathomime ».
Finalement, on pourrait faire une liste interminable des parties du corps qui peuvent être concernées. Ces troubles peuvent en effet toucher n'importe quelle partie du corps, cela en fonction de la signification que prendra telle ou telle partie du corps chez le patient. Cela en fonction de son histoire, de comment il se sera psychiquement structuré. Cela également en fonction de la rencontre qui se sera établi entre sa personnalité (sa manière d'être si on peut dire) et tel ou tel événement mettant en jeu une partie de son corps. Cela en fonction de la signification que l'atteinte corporelle prendra dans les interactions du patient avec les soignants, etc…
Le diagnostic de pathomimie et donc un diagnostic de surface très large qui peut avoir en profondeur des causes variables. Au psychiatre d'aller les rechercher pour la prise en charge psychiatrique qui pourra être psychothérapique et médicamenteuse. Pour cela, le psychiatre doit repérer et dénouer les enjeux inconscients qui sous-tendent le comportement pathologique. Le psychiatre doit opérer une différenciation pouvant graduellement aller des simulations volontaires jusqu'au comportement inconscient non véritablement perçu par le patient lui-même. Les simulations volontaires ne sont en fait pas véritablement considérées comme des pathomimies. Il s'agit plus dans ces cas d'actes effectués délibérément dans le but d'obtenir des bénéfices clairs : par exemple, obtenir l'argent d'une assurance. Autre exemple qui n'existe plus aujourd'hui, les tentatives d'évitement du service militaire d'autrefois...
À l'extrême opposé certains actes pathomimiques sont à l'œuvre chez certains patients sans qu'ils en soient véritablement conscients. Le patient se retrouvant ainsi lui-même la marionnette de son fonctionnement psychique.
La question de l'adresse au personnel soignant pourra se poser dans des fonctionnements névrotiques ou pervers. Le névrosé peut se trouver par exemple dans une quête inconsciente de reconnaissance où d'amour qui le poussera à se retrouver par ses actes dans des situations de demandes de soins, adressées donc aux soignants. Une psychothérapie prend ici tout son sens.
Le pervers peut, quant à lui, prendre les soignants dans ses scénarios pour y chercher une certaine jouissance. Il pourra se blesser, brouiller les pistes d'une guérison normale et provoquer des fautes médicales de la part des soignants qui tente de le soigner. La question du traitement est toute relative dans ces cas où le pervers, une fois démasqué, préfère fuir pour aller tenter son scénario ailleurs.
Le psychotique, enfin, pourra se mutiler de son côté en délirant tout seul. Par exemple, il pourra se rouvrir sa plaie indéfiniment en délirant qu'un ver se balade dans son corps et qu'il est nécessaire d' « ouvrir » pour le faire sortir. L'utilisation d'un médicament antipsychotique neuroleptique est alors souvent à adjoindre au travail psychothérapique.
Vous voyez qu’à partir du problème des pathomimies, différentes causes et différents mécanismes psychiques peuvent être en jeu. Cela invite à s'éclairer davantage sur le fonctionnement du psychisme en intrication avec le corps4.
1Intervention réalisée dans le cadre du diplôme universitaire « PEAU, PLAIE, CICATRISATION ET FORME ».
2Premier cas référencé historiquement sur le plan médical avec le Dr Dieulafoy.
3Le nom de ce syndrome est celui de l'héroïne d'Une histoire sans nomde Barbey et d’Aurevilly.
4Voir N. Janel – Corps et psychanalyse – 2021.