J'ai repris au cours de cette intervention différentes élaborations qui ont émergées au cours du temps et qui ont été diffusées au fur et à mesure. Beaucoup de redites, donc, qui permet en même temps, je l’espère, quelques entrecroisements fertiles...
Pour préparer cette intervention autour des fondamentaux de la psychanalyse et sa pratique, je me suis mis à reprendre l'argument de la journée. Argument qu'on avait écrit il y a plusieurs mois avec Pascale Mignot. Et quelle surprise de constater que pour une journée consacrée aux fondamentaux de la psychanalyse et sa pratique, on n'avait finalement réduit les choses qu'autour de la « règle fondamentale ». Avons-nous réalisé un phénomène de déplacement à partir du signifiant « fondamentaux » - en référence aux fondamentaux de la psychanalyse, vers le signifiant « fondamentale », qui est presque le même et qui condense à la fois la référence aux principes fondamentaux de la psychanalyse, et à la fois la référence à la seule règle, s'il devait y en avoir une qui sous-tend la pratique analytique : la règle fondamentale. Ainsi, « concepts fondamentaux » et « pratique » ont été condensés dans « règle fondamentale ». Pourrait-on en déduire que concernant la pratique psychanalytique, les concepts fondamentaux de la psychanalyse ont ainsi été pensés comme contenus dans la règle fondamentale, comme paramétrés par elle ?
J'ouvre une parenthèse pour vous rappeler au passage que cette histoire de concepts fondamentaux fait référence au séminaire 11 de Lacan tenu en 1964, et édité en 1974 par Jacques Alain Miller, sous le titre « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse ». Je précise qu'il s'agit du titre de Jacques Alain Miller qui cible 4 concepts, à savoir l'inconscient, la répétition, la pulsion et le transfert. Mais en 1964, lors du déroulement du séminaire en question, Lacan parlait quant à lui de « concepts freudiens majeurs », en précisant en avoir isolé quatre, sans pour autant en exclure d'autres. En explorant les questions de la pratique analytique, on ne sera donc pas étonné d'en voir surgir d'autres. Pour parler des questions de pratique, je me suis logiquement interrogé comme « en situation », c'est à dire à partir de ce qui se déroule au cabinet. Comment cela commence-t-il ? Cela renvoie aux questions des entretiens préliminaires, qu'on avait déjà abordé lors d'une journée clinique de la FEDEPSY, ce que je vais largement reprendre. Alors, comment les choses se passent-elles au cabinet ?
Pour un individu d'aujourd'hui, se retrouver chez un analyste semble relever souvent davantage d’un concours de circonstances malencontreuses dans sa vie, que d’une demande pouvant faire office de « germe d’affirmation ». C’est-à-dire qu’après avoir déjà subi les aléas de la vie qui le mènent à consulter, l'individu semble souvent se retrouver emporté dans une logique de consommation de thérapies multiples et variées, qui prolongent l’état d’aliénation qui l’avait poussé à consulter. S'il évite ou réussit à franchir la « zombification » des médicaments psychotropes, il traverse alors les techniques à la mode : un peu de coaching réalisé par des gens formés sur internet en quelques heures, un peu de TCC ou EMDR, un peu de pleine conscience ou d'hypnose... Dans tout ce parcours, d’un point de vue structural, ça semble la même chose. L’individu reste objet, cette fois-ci de ces techniques, sa qualité de sujet reste plongée dans une certaine aliénation. Et s'il se sent mieux au début de ces prises en charge, certainement par l'effet de transfert imaginaire mis en jeu, cela ne tient malheureusement pas. Le sujet, qui n’était peut-être qu’en germe, se retrouve perdu. La question de son existence reste alors problématique. Ainsi, l’élaboration d’une demande désirante, allant déjà dans le sens d’une séparation par rapport aux discours ambiants est rarement favorisée au préalable de la rencontre avec l’analyste. L’analyste qui reçoit cet individu après nombres de thérapies se retrouve alors avec son désir, pour tenter d’offrir les conditions de possibilité qu’émerge une prise de parole singulière. Il y a tout un contexte à défricher, il y a à se demander quelle glu supplémentaire aurait pu être ajoutée par les thérapies déjà tentées. Et avant les questions de la demande analytique, du transfert symbolique, se pose la question de l’offre qui devient presque nécessaire. C’est à l’analyste, pour reprendre une phrase célèbre de Lacan, de réussir ce que dans le champ du commerce ordinaire, on voudrait pouvoir réaliser : « avec de l’offre, créer de la demande», mais désirante cette fois ! Alors comment ?
Il semble nécessaire que le patient puisse se brancher sur ce qu’il sent de neuf. Peut-être un au-delà du principe habituel de la jouissance « désubjectivante » qui le gouvernait jusque là. Un au-delà que l’analyste peut lui proposer, et non lui demander, l’ayant connu lui-même, par son analyse personnelle, que l’on qualifie dans l’après-coup, de « didactique ». N’est-ce pas ainsi que l’analyste se retrouve avec son désir d’analyste? Autrement dit, pour sortir du système qui l’aliénait jusque-là, le patient n’aurait-il pas à suivre la trace du désir de l’analyste? L’analyste ayant lui-même emprunté cette voie de sortie de la jouissance, si l’on peut dire, pour devenir sujet.
Après, la technique semble suivre le mouvement. Une praxis en résulte, qui ressort dans la pratique comme une adaptation, comme une version, à chaque fois au cas par cas, du désir de l’analyste qui rencontre « sur mesure » le futur analysant, à travers le prisme de la théorie à laquelle se réfère explicitement et implicitement l'analyste. On ne peut donc établir un protocole technique prédéfini à l'avance. On reste toujours dans la fabrication du sur-mesure, où l'analyste développe ce qu'on pourrait appelé une « techné1 » au sein de sa praxis2. Cette techné lui permettant de travailler avec ce que le patient déploie à son encontre, dans le transfert. Le patient ayant une grande part dans ce qui lui arrive, aussi pendant la cure, l'analyste le mène à devenir « analysant ».
C'est effectivement à l'analyste de lui permettre de reprendre sa part, à partir du repérage de ses répétitions inconscientes, de ses formations de l'inconscient comme les rêves, les lapsus, les actes manqués qui viennent, par leur interprétation, révéler le fonctionnement inconscient dont le patient n'était jusque là que la marionnette.
Si on situe le « désir de l'analyste » comme un des concepts opérateurs clef de la cure, il est important de préciser que ce concept n'équivaudrait pas à son désir de sujet, sauf à le considérer dans sa structure, c'est à dire comme désir de désir. Car le désir de l'analyste comprend un « x » nous dit Lacan. Un « x » à comprendre comme une sorte d'énigme en réponse à la demande de l'analysant. Un « x » qui se maintiendrait à partir de la propre division du sujet qui est en position d'analyste. Un « x » qui renvoie au manque en maintenant un certain écart. Le maintient de cet écart permet au transfert de devenir véritablement analytique et non plus hypnotique.
Je parlerai peu du transfert aujourd'hui car c'était l'objet de ma dernière intervention au séminaire d'introduction de la psychanalyse de la FEDEPSY et j'en reparlerai également au sein du séminaire du vendredi de Jean-Richard Freymann. Mais ceci-dit, l'analyste aurait à soutenir la question du désir au delà des collages transférentiels, à partir de ce qu'il a lui même découvert à travers sa cure dite didactique. Avec le désir de l'analyste s'opère par exemple un souci constant de décoller le discours latent du discours manifeste, ou une volonté de laisser place à la « différence absolue »... nous dit Lacan. L'ensemble reposant sur un manque, sur une énigme, un trou à re-introduire, reposant souvent sur un non-savoir qui devient moteur de la cure.
C’est sur ce non-savoir que se joue une analyse, que se négocient son début et sa fin. Dans les meilleurs des cas, ce trou s'opère avant la rencontre. Souvent à partir de l’énigme d’un symptôme, d’une réponse inconnue à une demande, à partir de quelque chose qui empêche quelqu’un de pouvoir continuer à se soutenir dans sa vie, quelque chose que Patrick Landmannappelle l’initium de l’analyse. C’est-à-dire quelque chose qui a fait franchir un seuil au futur analysant et qui est à l’origine de sa démarche. L’analyste doit en prendre acte. Cela se repère non dans une anamnèse de type médicale mais dans l’histoire individuelle et singulière couverte par l’amnésie et le refoulement. L’enjeu est que cela puisse se mettre en acte chez l’analysant. Contrairement au but du traitement médical ou psychothérapique, la visée n’est pas un retour à l’état antérieur. Il ne s’agit pas de vouloir tout de suite boucher ce non savoir. C'est justement le risque qu'apportent toutes les techniques à la mode dont j'ai parlé précédemment. Comme l’écrit Jacques Lacan dans « la direction de la cure», il n’y a pas à répondre à la demande, sous peine de la rabattre sur le plan du besoin, ce qui reviendrait véritablement à faire un croche pied à celui qui se lève pour se mettre en marche. Au contraire, si on veut lui permettre de s'ouvrir vers une nouveauté désirante, il s’agit bien plutôt de marquer ce non-savoir pour le préserver, voir même, comme dit précédemment, de l’inciter par de l’offre qui pourra créer de la demande. L’étape des entretiens « préliminaire » préparera ainsi ce qui va suivre en introduisant et en marquant cette énigme qui renvoie au manque. Cela ressort comme nécessaire si on a repéré que le manque est de structure chez l'être parlant. Le manque étant cause du désir et de toutes ses expressions, dans la vie humaine. Autrement dit, en reprenant André Michels, « c’est ce « non-savoir » de l’analysant quant à sa singularité, quant aux racines de sa subjectivité et aux énigmes de son désir que nous avons à rendre opérant dès le début, (…) {en} contribu{ant} à son émergence. ».
C’est à l’analyste de s'en charger. Par exemple en invitant le futur analysant à se prendre lui-même comme son propre objet d’étude, afin de découvrir en lui quelque chose qu'il n'aurait pas perçu mais qui aurait des effets sur sa vie à son insu. On introduit par là la question d’éléments inconscients dont le patient serait la marionnette. On invite le futur analysant à s'observer lui-même, à la manière d'un scientifique qui observerait une expérience, expérience qui correspondrait à lui même, à ses propres pensées, ses souvenirs, ses rêves, ses modalités de liens aux autres... S'ouvre alors une enquête sur soi qui ouvre sur du non savoir et qui introduit un renversement dialectique majeur : l'analysant ne se plaindra plus uniquement du sort qu'il subi mais il renversera les choses en se mettant à se demander quelle est sa part dans ce dont il se plaint. Il sera inviter vers un mouvement de réappropriation, en devenant d'avantage acteur de sa vie qu'objet du sort. L'analyste introduit par là un « moi » qui se lance dans la quête du « fond de son mental » pourrait-on dire pour jouer avec les mots. Un moi qui acceptera, pour son enquête, de prendre à son compte, en partie au moins, ce qu’il attribuait au destin ou à ses parents dans la genèse de ses problèmes. Cela lui permettra de renverser ses certitudes, de lever ses évidences, de dé-fétichiser les éléments qui faisaient trop sens. Le non-savoir qui échappe à l'analysant sera alors supposé su par l’analyste. Autrement-dit, l’analyste sera supposé détenir le savoir inconscient du sujet. Le transfert analytique s'établira ainsi. L'analyste prendra place dans la réalité de l'inconscient de l'analysant en apparaissant par exemple dans ses rêves.
Le passage sur le divan sera l'occasion d'inscrire une césure supplémentaire, notamment par rapport au registre de l'image, du donné à voir. S'il le supporte, l'analysant pourra s’alléger du filtre de l'illusion de la plénitude spéculaire pour laisser d'avantage place à sa parole. Ça ne sera alors plus le « moi » de l’analysant qui sera en cause, mais sa parole qui pourra se laisser aller au vent de ses associations d'idée.
En prescrivant à l’analysant la liberté d'association d'idée, l’énonciation de la règle fondamentale comprend ce mouvement d'ouverture vers du non-savoir. Il s'agit de dire ce qui passe par la tête, sans sélectionner, sans craindre de dire n’importe quoi. Il est question de dire même le banal ou l’indélicat ou le vulgaire, ou ce qui est hors sujet. « Dites n'importe quoi » disait Freud, comme si vous étiez dans un train et, regardant par la fenêtre, vous voyez défiler de l'autre côté des pensées, pensées qu'il s'agira de dire comme elles viennent, sans redouter de quitter l'histoire en cours, sans appréhender un jugement...
Avec cette règle fondamentale, un message implicite se transmet vers l’analysant. Ca serait comme lui dire : « Tu sais, sans le savoir, que le savoir non su que nous recherchons est déposé en toi3». Son énonciation impulse le maintient de l’écart entre le contenu manifeste et le contenu latent du discours. Elle cherche à produire de l’Einfall chez l'analysant, mot allemand qu'on peut traduire par « ce qui chute », c’est-à-dire par ce qui arrive à l’esprit par surprise. L’Einfall permettant ensuite de reconstituer ce qu’il ne fait qu’évoquer. L'Einfall déterminant donc, tout en rappelant ce qui est connu dans la tête de l'analysant, un écart décisif et donc de la nouveauté qui pour être effective, devra être reconnue ou reconstruite... ou pourrait-on dire construite plutôt que re-construite ? J'y reviendrai...
André Michels qualifié l’Einfall de «pivot de la singularisation». Cela émerge par à-coups, au fur et à mesure des séances, tels des moments d’ouverture vers l’inconscient. L’analyste doit en prendre acte afin de maintenir le processus. Mais maintenir le processus ne veut pas dire que l'analyste se satisfasse des nouvelles trouvailles. Car cela n'est en fait pas sa véritable visée. C'est pour cela que l'énonciation de la règle fondamentale serait « comme dire » à l'analysant , « tu sais, sans le savoir, que le savoir non su que nous recherchons est déposé en toi». C'est un « comme dire », mais on ne le dit pas ! Car pour l'analyste, la visée ne consiste justement pas à trouver du savoir. En nouant le désir de l’analyste au travail de libre association d'idée de l’analysant, l'énonciation de la règle fondamentale, permet plutôt à l'analyste de soutenir un rapport au manque chez l'analysant. La règle fondamentale n'est donc pas qu'une méthode dans le sens d'un énoncé protocolaire à suivre. Elle permet d'inscrire une ouverture chez l'analysant à partir du désir de l'analyste. Restera à l'analysant d'assumer ce qui aura été ouvert, c'est à dire un manque. Voilà à mon sens, pourquoi cette règle est dite « fondamentale », car une fois établie, comme le dit Lacan, « il n’y a pas d’avant », c’est-à-dire que la prise en acte de ce phénomène va constituer comme une re-inscription du manque, sur le plan symbolique . Ou devrait-on dire inscription, plutôt que re-inscription ? J'y reviendrai...
La règle fondamentale est ainsi déterminante pour le cours et l'issue de la cure. Au cours de la cure, Patrick Landmannévoque par exemple le concept de « moments de passe ». C’est-à-dire, à chaque fois des moments de mise en acte dans le transfert de cette brèche qui s’est ouverte au début. Cette brèche d'origine se prolongeant ainsi jusqu’à une certaine fin qu’est sensée représenter la procédure de la « passe4». Avec ce concept de « moment de passe », il se dégage un lien entre le début et la fin de l’analyse. Du début à la fin, l’analysant se sera engagé dans le cadre d’une certaine relation qui s’appuiera sur une parole, se déroulant à partir d’un non-savoir et étant soutenue par le désir de l’analyste.L’analyste de son côté se soumet à la règle fondamentale en écoutant avec une égale attention, et dira quelque chose de temps en temps. C'est l'endroit de l’interprétation.
Et si l'analyste soutient la question du manque, manque constitutif de la structure de la chaine signifiante du désir, il n'a pas à envisager l'interprétation dans le sens d'une explication qui irait au contraire dans le sens de l'unification d'un savoir.
Si l'opérateur est le non-savoir, il ne faut pas l'oublier en chemin en tentant de restituer du sens sur une vérité incomplète non sue qu'on mettrait à jour en la complétant. L'interprétation du et dans le transfert se doit donc de révéler, non pas le transfert, mais le manque en sous-bassement qui se signifie à partir de l’inconscient à propos de ce transfert. On devrait d'ailleurs plutôt parler de « désinterprétation », allant vers une levée de sens, consistant à un effet de coupure sur la voie de la signification. Une coupure qui viendrait dans le transfert évaporer la couche des identifications aux objets d'amour dans lesquelles s'enrobe l'analysant. Couche des identifications aux objets d'amour dans le transfert qui comblait et masquait la question du manque justement.
La pratique de la scansionopère dans le même sens - dans le même non-sens devrais-je dire. La scansion crée un césure au cours de la séance – séance qui devient à durée variable. Elle permet de ponctuer le discours en marquant un moment de mis à jour de l'inconscient. Elle permet à l'analysant d'entendre ce qu'il vient de dire, parfois autrement. La suspension de sens qu'elle provoque ne garantie plus au sujet la complétude de savoir qu’il croyait détenu dans son discours.
Grâce au signifiant advenu par surprise, le sujet circule d’un signifiant à l’autre, se faisant représenter par l’un pour un autre, soumis à l’impossibilité de se ranger sous la bannière d’un signifiant ultime qui lui donnerait la clé de son être. Cela lui fera découvrir, petit à petit, que sa vérité restera toujours mi-dite, ancrée sur un manque. L'analyste préserve cela jusqu'à la découverte de la structure du désir par l'analysant où un manque est plutôt à assumer sous forme d'un désir de désir.
Cela ne va pas sans angoisse. L'angoisse est donc un bon indicateur de l'évolution de la cure et du rapport au désir. Le même phénomène « d'introjection du manque » se produisant hors de l’analyse pourrait être la cause d'une demande d'analyse, justement en raison de l’angoisse qui en résulterait. Ce genre d'angoisse serait alors très vite tempérée par l’identification à l'objet d'amour dans l’amour de transfert puisqu'il recouvre ce dont on vient de parler.
Pour le dire autrement, le transfert s’exerçant dans le sens de l’identification à l'objet d'amour apaise l’angoisse en plaquant la place du manque du sujet dans un registre où ce sujet divisé serait reconnu comme entier. L’analyste utilise de son côté le transfert pour marcher à contre-courant afin de contrer l'effet d'aliénation du sujet dans l'objet d'amour.
Bref, je n'insiste pas plus sur le transfert. Je voudrais finir par questionner l'essence du non-savoir évoqué.
Si ce non-savoir ressort comme un opérateur du manque, manque qui cause le désir du sujet, à quelle conception de la cure cela amène-t-il ? La cure consiste-t-elle :
-
soit en une retrouvaille de ce manque qui aurait été recouvert ?
-
ou soit en la création de ce manque qui ne serait alors pas encore advenu pour causer du désir ?
Pour le formuler un peu différemment, la vérité de l'inconscient qui révélerait au sujet son désir serait-elle simplement à retrouver, ou se créerait-elle au cours de sa recherche elle même? On pourrait, à l’extrême, poser la question : y'a-t-il du désir inconscient avant la cure ?
Pour interroger les choses encore autrement, l'analysant serait-il comparable à un archéologue qui dépoussiérerait les couches de boue séchée - boue dans laquelle il serait tombé en tant que sujet - afin de retrouvé son désir sous les couches amalgamées de son histoire ?
Ou ne serait-ce pas plutôt la recherche elle même qui créerait son désir ?Jean-Richard Freymann répond qu'il n’y a pas de désir constitué au départ. Il y en a les germes, mais le désir, au sens où on l’entend, se constitue dans la cure, il n’est pas déjà là. » Les paramètres du désir seraient déjà là, mais il serait nécessaire que ce désir se constitue dans le transfert analytique. Le désir serait « l’effet d’une opération constituante, et non pas constituée5».
Autrement dit, ça serait en cherchant quelque chose n'existant qu'à l'état de germe , que se produirait l’existence elle-même de ce qu'on cherche. La psychanalyse serait donc moins un procéder archéologique qu'une opération de création.
Cela rejoint ce que l'on trouve dans la formule du discours de l'analyste chez Lacan, où à la place de la production se crée du signifiant maître, c'est à dire un nouvel ancrage6.Par rapport au discours de l'analyste, il s’agirait de produire de l'ancrage en partant à sa recherche, à partir de la supposition que cela aurait déjà existé, alors que ça ne serait seulement que dans l’après-coup que cela existerait. Une sorte d’ancrage préexistant inexistant. Cela serait comparable mathématiquement au chiffre zéro qui passerait du zéro équivalent au néant au zéro équivalent à l'ensemble vide. Le zéro équivalent à l’ensemble vide, qui n’est pas le néant, mais qui n'est pas rien, car c'est déjà un ensemble, se créerait dans sa recherche elle-même, à partir d’un zéro équivalent au néant, d’où se ferait sentir un manque. Cet écart permettrait alors toute la suite de la dynamique des chiffres.
Bref, si on retient qu'on est davantage dans une opération de création que dans un procédé archéologique, cela ne veut pas dire pour autant que l’analyste doit empêcher l’analysant de rechercher dans son histoire. Au contraire, c’est bien parce que l'analysant va chercher « quelque chose » qui n’existera peut-être qu’après l’avoir cherché, qu’il pourra produire justement quelque chose d’autre en cours de route.
Ainsi, si la cure inscrit son procès dans le temps, elle ne repose pas uniquement sur la remémoration de la chronologie réelle passée. Il se met plutôt en place une interrogation sur le rapport de l’analysant à son histoire, une sorte d’ historisation symbolique. Ce qu’on y découvre vient ainsi bouleverser les représentations classiques du temps. Freud était tombé sur cela. Dans une première approche, il avait commencé par établir un schéma temporel du symptôme où le refoulement d’un événement traumatique passé était la cause d’un symptôme actuel. La narration du conflit ou du traumatisme ancien permettait la levée du symptôme dont la gêne n’avait jamais pu être liée jusqu’alors à ce passé pourtant connu. C’est de ce constat encourageant qu’est partie la psychanalyse.
Mais très vite des complications issues de la clinique ont forcé Freud à modifier ce schéma. La réalité historique du souvenir traumatique s’avérait souvent fausse, des faux souvenirs ou des souvenir-écrans apparaissaient. Avec la notion d’ « après-coup », Freud découvrit la postériorité de la cause sur la conséquence. Une révision de la première approche temporelle était alors à faire.
Par exemple, concernant la cure de « l’homme aux loups », Freud écrit que l’apparition de scènes appartenant à la première enfance ne seraient pas la reproduction d’événements réels auxquels on aurait le droit d’attribuer de l’influence sur le cours de la vie ultérieure du patient et sur la formation des symptômes mais les produits de son imagination nés d’incitations datant du temps de sa maturité. Jean-Richard Freymann l'avait souligné lors d'une journée de formation APERTURA sur les temps de la cure : « C’est à partir du temps de la maturité que va se reconstituer le temps infantile. Ce temps infantile étant utilisé à servir de représentations symboliques au désir et aux intérêts actuels du patient (...). Autrement dit, c’est en « passant » par l’infantile que l'analysant aborde les problèmes du présent. Une reconstitution s’opérerait ainsi à partir du présent». Et Comme l’écrit Sandrine Calmettes-Jean, dans la cure, « nul ne sait de quoi le passé sera fait». Ça ne sera que dans l’après-coup qu’on pourra dire que « quelque chose » aura été. Cette logique inverse la causalité et le temps en présentant la résurgence d’un passé dans un futur. La cure analytique se conjuguerait ainsi au futur antérieur : un temps qui ferait de l’avant quelque chose qui, d’une certaine manière, suit l’après. Cet avant serait à chercher, ce qui permettrait de créer du futur.
Une sorte de « retour vers le futur » s’opèrerait ainsi dans la cure à partir d’un non savoir du patient sur ce qui lui arrive et qui le pousse à consulter. Du début à la fin, la relation analyste-analysant fondera une « expérience de temporalité historisante ». Ce sont en ces termes que Lacan qualifie le transfert, où l’analyste est placé en tant que sujet-supposé-savoir. En cours de route, émergera du sujet dans toute sa singularité désirante.
1Acte de fabrication sur mesure.
2Lieux où s'effectue cette fabrication.
3J.-M. Jadin
5J.- R. Freymann – La naissance du désir – Strasbourg, Arcanes érès, 2005, p. 11.
6(l'agent/la vérité . l'autre/la production) donne dans le discours de l'analyste : ( a/S2 . $/S1). Il se produit du S1, c'est à dire de l'ancrage par le signifiant maître, l' « objet a » est quant à lui dans l'impossibilité de rejoindre le sujet divisé qui reste dans le registre du manque.