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14 janvier 2012 6 14 /01 /janvier /2012 13:36

 

Dans le cadre de notre pratique d’interne en psychiatrie, nous avons été confronté à la question de la place de la psychanalyse à l’hôpital. Nous avons voulu apporter quelques éléments de réponse avec notre travail de thèse qui se propose de définir la place de la parole et de ses effets dans une pratique de soin en psychiatrie[1].

 

Pour ce faire, nous somme revenu, lors d'une étude diachronique, sur la découverte progressive des effets de la parole dans le lien médecin-malade au cours de l'histoire. L'apogée de la tentative de maîtrise de ses effets, dans un but thérapeutique, arrive selon nous avec l'essor de la psychanalyse.

 

Nous avons abordé ensuite, dans une étude synchronique, la question de la place de la psychanalyse aujourd'hui en psychiatrie.

Dans la domaine de la recherche scientifique actuelle, la psychanalyse peut déjà permettre l'éclairage de quelques « impensés » venant d'autres champs, comme celui des neurosciences. La recherche psychanalytique proprement dite n'a pas été abordée, celle-ci n'ayant qu'une très faible place dans le monde de la recherche scientifique actuelle. Nous nous sommes contenté de proposer une nouvelle porte d'entrée.

Dans le domaine du soin, ce qui fait lien et dont le médium est la parole a des effets indéniables de tout temps. Pour permettre l'obtention d'un maximum d'effet thérapeutique et éviter au mieux les effets délétères, cela nécessite davantage qu'une simple approche humaniste ou intuitionniste. Cela nécessite d'être davantage maîtrisé et  conceptualisé. Nous soutenons que c'est ce qu'apporte justement la technique psychanalytique.

 

Et puisque  «  la technique ne peut être comprise, ni donc correctement appliquée, si l'on méconnaît les concepts  qui la fondent[2] », nous avons fait, dans une troisième partie, un retour sur ces fondements, essentiellement à partir « du Lacan des débuts ».

 

Obtenant une vue d'ensemble sur la technique psychanalytique, il restait un dernier problème : la technique psychanalytique trouve son champ d'application au décours d'une cure psychanalytique. Qu'en est-il dans une pratique hospitalière en psychiatrie? Le risque d'amalgame, de confusion entre des approches élaborées dans des domaines différents est grand. Par conséquent, nous avons étudié, dans une quatrième et dernière partie, les possibilités et les limites d'utilisation de cette technique en psychiatrie. L'alternative est venue avec la psychothérapie psychanalytique. Nous en avons donné notre définition et quelques « points clefs » pour sa pratique.

I. La découverte progressive des effets de la parole dans le lien médecin-malade

 

L'approche clinique «scientifique » de la relation médecin-malade émerge très progressivement au XVIIIe siècle[3]. Cette approche se fait par l'intégration de la clinique classificatrice dans le champ des sciences de l'époque, dites « botanistes ». Ces sciences essayaient d'appréhender et de comprendre la Nature par une démarche classificatrice. En décrivant la Nature, on pensait qu'on en viendrait à la comprendre et à l'expliquer. Le premier type de relation médecin-malade se construit ainsi: le médecin entre en lien avec le patient par l'observation, la classification de signes cliniques dont l'ensemble représente une maladie.

Dans ce courant, la folie suit le mouvement en France avec la classification de Philippe Pinel. La folie entre ainsi dans le champ médical: c'est la naissance de la psychiatrie. Mais avec le « traitement moral » de Ph. Pinel, on commence à s'apercevoir en concomitance que le lien médecin-malade peut avoir des effets thérapeutiques en soi. Tout n'est donc pas qu'anatomo-pathologique ou organique.

Dans le même temps, l'entité des névroses se trouve définie de mieux en mieux. La névrose se situe justement là où l'anatomo-pathologie n'explique pas tout. C'est William Cullen qui introduit le terme de névrose, en 1777, pour désigner à l'époque soit des troubles psychogènes sans substratum organique, soit l'existence de lésions diffuses que l'on ne peut pas encore déceler faute d'une avancée suffisante de la science. Du côté des aliénistes, la question de la névrose reste encore négligée. La dimension névrotique vient plutôt par déplacement depuis le phénomène de la suggestion, notamment à partir du concept du fluide animal. Ce courant exploite, de manière non scientifique, des phénomènes sans lien organique, mais ayant pourtant comme effet de nettes améliorations thérapeutiques chez les patients. Cet effet repose sur la suggestion.

En vue de tenter de maîtriser ce facteur déterminant dans la relation inter humaine, Sigmund Freud propose une psychothérapie scientifique: la psychanalyse, qu'il oppose au modèle psychothérapique classique de l'hypnose. Il apporte la notion de « lésion de l'idée[4] ». Ce n'est plus seulement l'organique, le substrat anatomique qui peut être lésé, mais aussi la représentation psychique qui peut être erronée par rapport à la réalité. La névrose se conceptualise véritablement. Sigmund Freud pose son concept d'inconscient psychanalytique. Tout discours n'est plus uniquement conscient ou manifeste. Une part de notre discours est liée à notre inconscient, c'est le discours latent. Notre discours n'est plus uniquement  manifeste, il n'est plus uniquement de l’ordre de l'objectivité. La vérité humaine a aussi sa part subjective. Cela crée une véritable rupture épistémologique en médecine. Les effets de la parole peuvent alors être appréhendés. Se développent la psychologie médicale, la psychosomatique... C'est à dire des disciplines dont les fondements se réfèrent à la psychanalyse, et dont le médium est la parole.

Jacques Lacan prend en compte les apports du structuralisme et de la linguistique. Il fait un retour à Freud et définit l'inconscient comme étant « structuré comme un langage ». Sa théorie permet de mieux comprendre les différentes valeurs que prennent la parole et le langage dans la pratique psychanalytique.

 

La psychanalyse est donc née dans une tentative de prise en compte des effets de la parole de la part d'un médecin. Il est important de retenir que si Lacan affirme que dans le processus analytique, la « guérison vient de surcroît », c'est d'un point de vue méthodologique qu'il parle.... un point de vue méthodologique suivant une éthique du sujet[5]. Ceci fait écho à l'idée de Freud présente dans « Théorie de la libido » : le but du traitement est de « façonner le meilleur de ce que {le patient} veut devenir en fonction de ses dispositions et de ses capacités, et de le rendre autant que possible, capable de réaliser et de jouir ». Dans cette visée, « l'élimination des symptômes de souffrance n'est pas recherchée comme but particulier, mais, à la condition d'une conduite rigoureuse de l'analyse, elle se donne pour ainsi dire comme bénéfice annexe[6]. » Il est  bien certain pour Lacan, comme pour Freud, que la justification du psychanalyste, comme son devoir, est d’améliorer la position du sujet. La question de la guérison et celle du thérapeutique ne sont donc pas étrangères à la psychanalyse. Avant d’étudier les concepts qui la fondent, nous avons posé la question de la place de la psychanalyse aujourd'hui en psychiatrie.

 

 

II. Place de la psychanalyse aujourd'hui en psychiatrie

 

Après avoir défini et illustré les rôles possibles de la psychanalyse dans le monde de la recherche actuelle, nous avons axé davantage le reste de notre travail suivant la place de la psychanalyse dans le monde du soin.

 

1. Place de la psychanalyse dans le monde de la recherche scientifique actuelle : commencer par éclairer les « impensés[7] » d'autres champs.
a. La confusion entre « connaître » et « regarder », entre « connaître » et « objectiver » : le mur de l'imaginaire dans la quête du réel

Une des illusions de la psychiatrie se découvre sous un éclairage psychanalytique. Cette illusion consiste à penser les troubles mentaux parmi d'autres réalités naturelles, celles qui se laissent décrire, classer et traiter comme si elles étaient déterminées par des lois intrinsèques, indépendantes du regard qui les découvre. Le regard posé sur la folie est pourtant brouillé par le registre de l'imaginaire et bouleversé par le langage. Lacan apporte que le désir de connaître est mis en cause sur le plan théorique à partir de la difficulté structurale de l’être humain à appréhender son propre corps. Le sujet n'est pas transparent dans son propre acte de connaissance. Le sentiment de maîtrise de l'acte de connaissance commence dans le leurre de l'imaginaire. La dimension du sujet supposé transparent dans son propre acte de connaissance ne commence qu'a partir de l'appréhension de son corps, qu'il essaye de cerner lors du « stade du miroir, à savoir l'image du corps propre, pour autant que, devant elle, le sujet a le sentiment jubilatoire d'être en effet devant un objet qui le rend, lui sujet, à lui-même transparent. L'extension à toute espèce de connaissance de cette illusion de la conscience est motivée par ceci, que l'objet de la connaissance est construit, modelé, à l'image du rapport à l'image spéculaire[8] »C'est précisément en quoi cet objet de la connaissance est insuffisant.

Le corps n'est pas que de l'ordre du biologique. Le corps est une réalité et une unité d'ordre imaginaire. J.- R. Freymann subdivise deux corps : le corps anatomique et ce que l'on pourrait appeler un corps investi, le « corps de la jouissance ». Là se situe les distinctions psychanalytiques entre réel et réalité, entre organisme (ou corps anatomique), et corps investi («  imaginarisé »). Le réel, tant qu'il n'est pas évident, ne peut être qu'imaginé, voire imagé et c'est de cette manière que J.-R. Freymann situe la réalité. La réalité est un réel insaisissable anticipé, qui a traversé les images. L’être parlant n'a donc pas un accès direct au corps anatomique, il est d’emblée pris dans la dimension du corps imaginaire. Autrement dit, le schéma corporel, l’expérience que chacun a de son corps passe avant tout par la dimension de la perception. La psychanalyse nous enseigne que l’objectivité pure ne peut exister pour l'humain. L'humain ne peut pas être purement dans le réel. C'est son entrée, au cours de sa construction subjective, dans le monde de la connaissance, conditionnée par l'imaginaire, par l'image de son corps, qui lui fait croire que regarder et objectiver permet de connaître.

 

b. Le mur du langage dans la quête du réel

Dans le champ de la psychanalyse, la connaissance du monde réel et de l'homme dans sa matérialité se heurte également au mur du langage qui organise toute pensée du monde et de l'autre homme. Au-delà du leurre de l'imaginaire que nous avons explicité , la connaissance de la chose s'introduit entre la chose dans sa matérialité et le signe (ou le mot) qui la représente. Quand on parle de signifié, on a tendance à penser à l'objet matériel, alors qu'il s'agit de sa signification. A chaque fois que nous parlons, nous « disons » l'objet matériel, c'est-a-dire le signifiable, à travers le signifié. Il y a là un leurre. Ce leurre est aussi structural, il provient de la prise de l'humain dans le monde du langage. Et en un sens, c'est sur ce leurre qu'est fondée la vérification de tout réel qui serait vérité. C'est pour cela que toute compréhension du réel ne peut être qu'une approche. On ne perçoit les choses, la matérialité, c'est-a-dire le réel, que par le biais des mots, des signifiés. Et ces signifiés résonnent eux même, ne sont eux même que des échos de tel ou tel « symbole acoustique[9] » premier: le signifiant, dont les propriétés d'entrecroisement, de déplacement, de condensation, structurent le sujet. La psychanalyse apporte donc l’idée que la connaissance de la chose a tendance à être confondue avec le mot lui-même. Dans cette confusion, le savoir absolu visé serait ce moment où la totalité du discours scientifique se fermerait sur elle-même, dans une non-contradiction parfaite, comme si ce discours était un réel sans contradiction. Or, le discours scientifique est un discours, ce n'est pas le réel lui-même. Et les différents discours concernant l'homme, c'est-a-dire les différents systèmes symboliques qui ordonnent tous les champs de l'action inter-humaine ne peuvent être mis totalement en superposition, en conjonction. Paul Ricoeur affirme que l'on ne peut pas tenir un discours scientifique global sur l'homme. Le discours sur l'homme est nécessairement un discours brisé. Le savoir concernant l'homme n'est pas un savoir totalisant, il existe plutôt des savoirs multiples, partiels, fragmentaires, dont les pertinences sont limitées à des domaines bien déterminés. La pluralité devient la condition d'exercice de tous les discours sur l'homme. La difficulté réside dans l'articulation de ces différents discours. Entre eux, il y a des failles, des béances, des déchirures. On ne peut donc pas concevoir le discours humain comme unitaire. Ceci nous mène a un pyrrhonisme. Tout ce que la voix humaine peut émettre comme vérité est suspendu. On se retrouve dans un état de suspension qui risque de nous faire plonger dans un état d'attente d'une totalisation future. La question se pose alors de savoir si cette totalisation future pourra être réalisée. Or, en s'interrogeant ainsi, on retombe dans la confusion entre le réel qu'on essaye de connaître, et le système symbolique c'est-a-dire le discours qu'on utilise pour approcher ce réel. Alors, on n'est déjà plus dans la connaissance du réel, mais dans les mots, les symboles, qui tentent d'approcher cette matérialité, comme si elle était, elle uniquement, à la base de toute vérité. Comme le réel est censé être sans contradiction, bien fait, le progrès des sciences risque de se diriger dans ce leurre vers « une langue bien faite ». Voilà un autre « impensé » que la psychanalyse permet d’éclairer. Pour reprendre les termes de Lacan, cette langue se retrouve privée de toute référence à une voix , ce système se prive de toute référence à ce domaine de la vérité dans lequel pourtant il se développe implicitement: celui de la subjectivité, le domaine de l'inconscient. La vérité à laquelle fait référence Lacan n'est pas ici le réel, mais la subjectivité.

 

c. La notion de vérité dans l'étude du psychisme humain

La rationalité des sciences objectives a comme volonté de protéger l'homme contre sa capacité de s'illusionner sur lui-même. Elle cherche à se rapprocher du réel qui serait la vérité. Dans la psychiatrie actuelle, étudier ce réel revient à étudier le corps, le cerveau. Le but est alors de comprendre le fonctionnement normal et pathologique du cerveau. C'est dans ce but que les neurosciences mettent a profit la rationalité scientifique et médicale. L'objectif est de faire apparaître une vérité objective sur les faits étudiés. Mais la psychanalyse permet de dire que la notion même de rationalité scientifique comporte intrinsèquement sa limite. Même si on n'oublie pas que la compréhension qu'apportent les neurosciences est limitée au seul domaine d’étude dans lequel les concepts et les méthodes utilisés sont valides, cette démarche met entre parenthèses d'autres registres, tels le registre symbolique et le registre imaginaire, qui viennent nous éclairer. Georges Canguilhem fait s'opposer deux registres de vérité: objectivité et subjectivité. Il affirme qu'un fait médical ne se réduit pas à sa seule vérité scientifique et objective. Un fait médical est également porteur d'une vérité subjective, celle des représentations et des valeurs, construite tout au long d'une histoire personnelle et collective. Le sujet perd son sens dans les objectivations du discours le concernant. Le malade n'est pas que le lieu où la maladie s'enracine. Il ne suffit pas d'apporter une explication objective de la maladie à la plainte du patient et à sa façon de se représenter subjectivement les causes de sa maladie. Sinon, le sujet se retrouve aliéné par le discours scientifique qui l’étudie. Dans une culture scientifique, le sujet perd sa place, sa subjectivité est effacée sous la tentative d'une existence purement objective qui essaie de retrouver le réel. Chez G. Canguilhem, vérité objective et vérité subjective ne coïncident donc pas. Elles ne peuvent être réduites l'une à l'autre. La méconnaissance de l'une comme de l'autre est source de dérives. Vérité objective et vérité subjective ne relèvent pas du même ordre de discours. Pour G. Canguilhem, la rationalité médicale doit donc s'accomplir tout en reconnaissant ses propres limites. Et ces limites ne doivent pas être entendues comme l’échec d'une approche, mais comme l'obligation de changer de registre. Sans cela, on bascule dans une dérive hégémonique. La rationalité médicale des neurosciences doit donc être, selon nous, relayée par une autre, comme celle de la psychanalyse, particulièrement à même de tirer toutes les implications de la reconnaissance de la vérité subjective sur les plans de la théorie, des pratiques et de l’éthique de la relation du psychiatre au patient. Freud s'avance justement dans une recherche qui n'est pas marquée du même style que les autres recherches scientifiques. Son domaine est celui de la vérité du sujet. La recherche de la vérité n'est chez lui pas entièrement réductible à la recherche objective, et même objectivante de la méthode scientifique commune. Il s'agit de la réalisation de la vérité du sujet, comme d'une dimension propre qui doit être détachée de la notion de réel. A partir de là peut se développer une recherche psychanalytique proprement dite.

 

Dans son discours, la psychanalyse se place d’elle-même dans un en deçà qui précède le moment de la connaissance. Elle permet de mettre en garde les sciences objectives face au leurre de l'imaginaire et au mur du langage. Elle apporte l’idée que, concernant l'humain, la vérité ne repose peut-être pas uniquement sur le réel. Elle ne dit pas qu'il faut renoncer à faire de la science. Au contraire, en concomitance des neurosciences, elle permet d'amener l’étude de la folie entre deux bords: un effort d'objectivation d'une part, et un contre effort pour déjouer les oublis de cette objectivation d'autre part. Comme nous l'avons fait dans notre travail, elle permet d’éclairer quelques « impenses » des neurosciences. Ceci, à partir des trois registres que sont le réel, le symbolique et l'imaginaire, et de leur nouage illustré par les nœuds borroméens de Lacan – un registre n'allant pas sans les deux autres. La psychanalyse permet d’éclairer les insuffisances d'un autre champ. Elle n'est cependant pas à prescrire comme un discours unique. Dans l'ensemble des discours concernant le psychisme humain, son domaine est celui de la subjectivité. Celle-ci se structure, sous l'égide du désir, comme un langage. Les accidents de cette structuration déterminent la partie de la psychopathologie appartenant au registre de la subjectivité. Mais le cerveau, équipement à partir duquel le monde de la parole émerge, peut aussi être lésé. La psychopathologie qui en découle ne rentre alors plus dans le même champ. Cependant, la barrière entre le fonctionnement cérébral et la subjectivité est difficile à situer.  Lacan nous signale par exemple que le système symbolique n'est pas comme un vêtement qui

collerait aux choses, qu'il n'est pas sans effet sur elles et sur la vie humaine.

 

Voilà une des places possibles de la psychanalyse dans le monde de la recherche psychiatrique. Qu'en est-il maintenant dans la pratique du soin ?

 

2, Place de la parole dans le monde du soins

Dans le monde du soins, certaines approches ont permis des avancées considérables, comme par exemple la neurobiologie avec la découverte des neuroleptiques. Ces derniers ont considérablement amélioré la qualité de vie des patients psychotiques. Ils ont changé le visage de l'hôpital psychiatrique. La chimiothérapie a apporté des grands bénéfices thérapeutiques pour les patients. Mais nous ne pouvons pas oublier cette part subjective de l'humain, où l'idée peut être lésée sans pour autant qu'il existe une lésion organique sous-jacente.

Rappelons que la fonction de thérapeute n'a pu émerger qu'à partir de sa sacralisation, qu'à

partir du moment où il a pu s'emparer de quelque chose de sacré qui lui permette d’être en même temps en dedans et en dehors de son groupe, d’être en même temps dans le groupe et dans une sorte d’extraterritorialité. La rationalisation scientifique tend, dans un mouvement inverse, à conjurer l'aspect mystique contenu dans l'humain. Cette rationalisation sépare le religieux, du magique et du médical, ce qui est source de grand progrès. Mais, ce qui fait lien reste souvent occulte, résiste à cette réification. Ce qui fait lien a pourtant des effets que la science ne peut ignorer. Le domaine du lien est partie prenante de l'humain. Selon la formule de Freud, nous ne pouvons donc guère nous en passer, pour la simple raison que le patient n'a nullement l'intention d'y renoncer[10]. Mais on ne peut pas se contenter non plus de donner uniquement à l’étude de ces formes de lien une dimension humaniste et intuitionniste. Ce qui fait lien nécessite d’être conceptualisé.

La majorité de nos processus psychiques sont inconscients. Une faible proportion repose sur les processus conscients, sur le savoir. Il semble donc difficile d'envisager une pratique du lien qui exclurait les processus inconscients, en allant dans le sens d'une fétichisation du conscient. C'est à ce niveau que les théories psychanalytiques apparaissent incontournables pour la relation thérapeutique. Notre logique suit celle de Freud qui a permis l'obtention d'un gain thérapeutique supplémentaire, en commençant par la maîtrise de l'effet de suggestion. On comprend que ces apports ne peuvent pas être remplacés par une conception uniquement organique des choses.  Freud écrit que la relation humaine porte sur « la dimension symbolique des jeux de représentation et l'on ne saura jamais rendre compte de cette dimension symbolique par les seules connexions neuronales même si celles-ci constituent le substratum organique ». Les apports de la psychanalyse permettent donc de comprendre et de cultiver les effets thérapeutiques attendus pour nos patients, à travers la parole. C’était l'objectif de Freud: rendre scientifique quelque chose que les patients n'abandonneront jamais, c'est-a-dire l'aspect mystique de la relation médecin-malade. L'effet psychothérapique, par le biais de l'effet de suggestion, a de tout temps existe. Freud a voulu le rendre scientifique pour le rendre moins aléatoire. En chemin, il a conçu la technique psychanalytique, qu'il nous a fallu étudier.

III. La technique psychanalytique et ses fondements conceptuels

 

« Ramener l'expérience psychanalytique à la parole et au langage comme à ses fondements, intéresse sa technique[11]≫. Pour comprendre davantage l’intérêt et les effets de la parole dans le lien thérapeutique, l’étude de la technique psychanalytique était nécessaire.

La technique analytique n'est pas fixée une fois pour toutes, elle n'est pas arrêtée. Tenir compte de l’évolution de ses concepts au cours du temps est important de même que de l'auteur ou de l '« école » à laquelle on se réfère. La technique donc a pour variable l’époque et l'auteur ou l’école étudiée. De plus, elle est également fluctuante en fonction de l’époque à laquelle on se réfère même au sein de la théorisation d'un unique auteur étudié. Notre étude de la technique a témoigné inéluctablement de notre approche personnelle. Elle a été forcement dépendante du stade de notre formation et de notre compréhension des différents concepts psychanalytiques. Nous ne sommes pas passé par une étude historique exhaustive des différents acteurs et auteurs de la technique psychanalytique. Nous avons fait plutôt le choix d’étudier la technique à partir de notre propre stade d'apprentissage. Cet apprentissage reposait particulièrement sur les apports du « Lacan des débuts », reprenant lui-même Sigmund Freud ( citons deux textes majeurs de J. Lacan concernant la technique: « Variantes de la cure type[12] » et « La direction de la cure et les principes de son pouvoir[13] »), ainsi que sur notre formation au sein de l’École Psychanalytique Strasbourgeoise.

D. Wildocher, dans la préface du livre de R. H. Etchegoyen, Fondement de la technique psychanalytique[14], nous sensibilise au fait qu'aborder la praxis sous l'angle technique est un sujet glissant. En effet, « le risque est au mieux de tourner le dos à une pratique imprégnée d'écoute », au pire « d'élaborer une théorie de la technique qui serait une justification dogmatique d'un savoir-faire ». Sa pensée rejoint celle de J. Lacan: « Les règles techniques, à se réduire à des recettes, ôtent à l'expérience toute portée de connaissance et même tout critère de réalité[15] ». La technique s’avère donc indissociable de la praxis. La technique est un minimum requis, mais n'est pas l'essentiel. Elle peut être oubliée. Pierre Jamet[16] comparait la technique du psychanalyste et celle du pianiste. Ce dernier, ayant acquis une bonne technique et grâce à son oreille, va pouvoir ensuite l'oublier afin d’improviser et interpréter à sa manière. De la même manière pour le psychanalyste, la technique s'oublie, ce qui compte c'est la capacité d'improvisation grâce à une technique bien maîtrisée. J. Lacan apporte à cet endroit l’idée que la conception théorique de notre technique, même si elle ne coïncide pas exactement avec ce que nous faisons, elle la structure, motive la moindre de nos interventions auprès des patients. « On ne peut pas pratiquer, même une seconde, la psychanalyse sans penser en termes méta-psychologiques, comme M. Jourdain était bien forcé de faire de la prose, qu'il le voulut ou non, dès lors qu'il s'exprimait. Ce fait est véritablement structural de notre activité[17] ». Il n'y a évidemment pas de position de maîtrise pour le psychanalyste, mais il s'agit de posséder ses gammes pour pouvoir en faire fi. Ainsi la direction de la cure ne repose sur aucun principe a priori, c'est-a-dire sur une aucune méthode prédéfinie selon le modèle protocolaire, mais elle nécessite une improvisation permanente et une grande souplesse dans l’interprétation en adhérant au discours de l'analysant pour le lui restituer au plus prés. La technique devient alors plutôt une « techné », c'est-a-dire un savoir-faire où la subjectivité du thérapeute et celle du patient entrent en jeu. Mais cette techné « ne peut être comprise, ni donc correctement appliquée, si l'on méconnaît les concepts qui la fondent[18]  ». Quels sont ces concepts ?

La conceptualisation psychanalytique s'amorce avec la confrontation clinique à la « résistance » qui a permis de saisir l'originalité du traitement analytique: le rapport problématique du sujet avec lui-même. La pratique analytique a permis de comprendre la nature de la « résistance ». Ceci a permis de répondre à la question « qui parle ?». C'est le sujet. Une des grandes trouvailles est ensuite de mettre ce rapport en conjonction avec le sens des symptômes.

Sachant « qui parle », on peut comprendre, d'un point de vue méta-psychologique ou « mytho-psychologique », comment se construit celui qui parle. Nous pouvons alors saisir comment  le sujet devient sujet: par son entrée dans le monde symbolique de la parole, ceci sous l'égide du désir. Dès lors, la subjectivité du sujet ressort comme étant le fruit d'une structuration de parole symbolique. Cette structuration repose sur la« propriété d'entrecroisement[19] » du système symbolique qui détermine la structure, c'est à dire le sujet. Cette structuration se fait selon un ordre de signifiants complexe. Le signifiant est le matériel audible, ce qui ne veut pas dire pour autant le son. Tout ce qui est de l'ordre de la phonétique n'est pas pour autant inclus dans la linguistique en tant que telle. C'est du phonème qu'il s'agit, c'est-à-dire du son comme s'opposant à un autre son, à l'intérieur d'un ensemble d'oppositions. Il s'agit d'une forme de mathématisation où le phonème, unité de son minimale, s'inscrit dans une fonction de couples d'opposition symbolique - ces couples d'opposition étant donc formés par les plus petits éléments discriminatifs saisissables de la sémantique. C'est ce que nous avons illustré avec l'entrée du petit d'homme dans le monde symbolique, par le couple d'opposition mis en bascule dans le jeu du fort/da, que Jacques Lacan qualifie de « connotation vocalique de la présence et de l'absence». Ces couples d'opposition apparaissent bien comme les « sources subjectives de la fonction symbolique ». Le champ de la psychanalyse se situe par conséquent dans ce groupe d'oppositions phonémiques qui amorcent la formalisation des morphèmes de la langue – un morphème étant l'unité grammaticale de première articulation de la langue ( la plus petite unité de sens). Dans cette constellation, les mécanismes de déplacement et de condensation s'y opèrent. Le tout est dynamique, toujours en mouvement. Ce système langagier apparaît comme quelque chose qui dépasse infiniment toute intention momentanée que l'individu peut y mettre.  Les signifiants, « symboles acoustiques[20] » minimaux, ont un caractère premier comparable à celui des nombres premiers, dont tous les autres nombres sont composés. Les signifiants sont sous-jacents à tous les sémantèmes de la langue. La complexité est grande pour décoder ce système. Un signifiant ne renvoie jamais qu'à une seule signification. Une signification renvoie à son tour à un objet dans sa matérialité, l'objet réel. Pour « le Lacan des débuts », l'expérience analytique joue sur ces fonctions d'ambiguïté. L'expérience analytique joue sur ces richesses. Et ces richesses ont été impliquées, d'ores et déjà, dans le système symbolique, tel qu'il a été constitué par la tradition dans laquelle la personne s'est insérée comme individu.

Cette insertion se fait selon une négociation lors de l'entrée du petit d'homme dans le monde de la parole,  négociation déterminante pour le sujet.  Il y a d'abord le cri qui est à la racine des mots. Puis, c'est sur une reprise des sons que l'enfant va négocier son cri pour qu'il devienne signifiant. Et la manière dont l'enfant va négocier son cri pour qu'il devienne mot, s'opère en fonction d'un autre, porteur du code de signification: l'Autre ou « grand Autre » dans la théorie de Jacques Lacan. Cette négociation qui s'opère avec l'Autre illustre comment commence à s'articuler, à s'entrecroiser, les mots-symboles ou signifiants, qui vont déterminer le sujet.

Cette négociation se fait sous l'égide du désir. Nous avons posé l'hypothèse que le désir est transmis par l'Autre à partir des expériences primordiales de satisfaction. La question de René Arpad Spitz résume bien la question à laquelle nous tentions de répondre : « Comment est-ce que l’on arrive de la masse inorganisée, psychologiquement chaotique, présente à la naissance, jusqu’au langage, et depuis le langage, à la pensée ?[21] » Nous avons proposé une « mytho-psychologie » tentant de rendre compte de la construction subjective. Nous n'y reviendrons pas mais nous pouvons aujourd'hui y apporter quelques critiques :

-      Nous avons centré la constitution du sujet dans sa relation à l'Autre exclusivement sur le niveau oral. Cela nous semble valable mais incomplet. Dans la dialectique du sujet et de l'Autre,  les quatre autres niveaux - anal, génital, scopique et Surmoi (avec la voix) - développés par Lacan[22] , devraient aussi être pris en compte.

-      Ensuite, nous avons pensé la construction subjective à partir d'une seule dialectique. J.- R. Freymann apporte que cela ne suffit pas. «  C'est plutôt à concevoir comme un échiquier dans l'espace : les échiquiers sont posés l'un au-dessus de l'autre, la lumière passe à travers comme dans la diagonale du fou ( jeu d'échecs). Ce serait dire que quand vous jouez du côté du désir, vous n'êtes pas seulement dans une dimension, mais que le mouvement d'une pièce va modifier le rapport à la lumière de l'ensemble des (...) échiquiers dans l'espaces. La lumière est située à l'endroit de l’œil de l'autre. Le désir ne peut donc être pensé, au sens freudien, que comme une dialectique[23] ». J.-R. Freymann propose au moins quatre dialectiques : celle de l'identification, une dialectique en rapport avec les pulsions, une autre en rapport à la question du fantasme, une autre en rapport avec le désir et la demande...

-       Enfin, on trouve également chez J.-R. Freymann l'idée que « on peut très bien dire, au regard de l'analyse, qu'il n'y a pas de désir constitué au départ. Il y en a les germes... Mais le désir, au sens où on l'entend, se constitue dans la cure ; il n'est pas déjà là[24]. » Les paramètres du désir seraient déjà là, mais il serait nécessaire que ce désir se constitue dans le transfert analytique. Le désir serait l'effet d'une opération constituante et non pas constituée. Ce qui nous met dans une grande difficulté puisque nous avions tenté de montrer la naissance du désir inconscient dans la dialectique du sujet et de l'Autre et dans la diachronie infantile.  J.-R. Freymann fait une distinction entre l'inconscient et la psychanalyse. Avant la cure, il pourrait exister des formations de l'inconscient, des éléments de désir, mais la naissance du désir, au sens  freudien, commencerait dans la psychanalyse.  La question de la cure serait de faire quelque chose de ces émergences désirantes. Le désir serait toujours constituant à partir d’éléments constitués[25]. Notre mytho-psychologie pourrait ainsi correspondre à ces « éléments constitués », touchant au mythe des origines. L'idée serait de comprendre comment ses éléments se sont constitués pour ensuite conceptualiser la technique psychanalytique qui a justement à reprendre dans l'après coup ces éléments ( et la meilleur façon de comprendre cette constitution semble être la cure elle-même, ce qui nous plonge nécessairement dans des mouvements d'aller-retour oscillant entre la pratique et la théorisation – c'est l'endroit de la recherche psychanalytique proprement dite).

 

En reprenant Lacan, notre déduction était qu'au cours de son existence, le sujet se perd dans sa quête qui est en fait réalisée en fonction de sa question pour un autre (Que voy?). Le désir du sujet se retrouve en chemin aliéné dans un objet imaginaire. Plus cet objet s'élabore, plus le désir du sujet se retrouve aliéné. Mais au cours du processus psychanalytique, à force de rejouer en boucle, dans son discours, cette tentative de conformation à l'image qu'attend l'autre, le sujet fini par reconnaître l'aliénation dans laquelle il est pris. Pour l'humain, tout n'est pas que déterminisme, tout n'est pas figé un fois pour toutes. La reconstruction de l'histoire du sujet au cours du travail analytique va permettre une « restructuration » possible. Celle-ci doit se faire en commençant à l'endroit où le sujet a « atterri », après le cumul des déplacements et condensations survenu au cours de son histoire, après la succession de ses égarement dans le registre de l'imaginaire où il croit, dans sa quête sans fin, retrouvé l'objet de  son désir. Pour avoir accès à la parole symbolique et à ses accidents, il faudra d'abord franchir le mur du monde imaginaire où le sujet aliène son désir. L'enjeu d'une psychanalyse ressort comme l'avènement dans le sujet du peu de consistance que son désir y soutient au regard des conflits symboliques et des fixations imaginaires- les fixations imaginaires étant à comprendre comme des moyens d'accord entre les conflits symboliques. La voie de la psychanalyse est l'expérience intersubjective où ce désir se fait connaître. Dès lors, Jacques Lacan nous signale que dans la psychopathologie, le problème est celui des rapports de la parole et du langage[26]. La parole est à entendre comme la part désirante, la part propre au sujet, présente dans le langage que l'individu utilise. Par exemple, dans la folie, indépendamment de sa nature, tout se passe comme si « dans une liberté négative[27]», la parole renonce à se faire reconnaître; par la présence d'un obstacle au transfert d'une part, et par la formation singulière d'un délire qui objective le sujet dans un langage sans dialectique d'autre part. Le sujet se retrouve alors davantage parler qu'il ne parle. Et les stéréotypes de son discours se retrouvent vides de sa parole. Dans le cas des symptômes, de l'inhibition, et de l'angoisse, c'est-à-dire dans l'économie constituante des différentes névroses, la parole est ici chassée du discours concret qui ordonne la conscience. La parole doit alors trouver à s'exprimer ailleurs. Cela peut se faire par le corps avec la maladie qui devient « l'introduction du vivant à l'existence du sujet[28] ». Le symptôme apparaît alors comme « le signifiant d'un signifié refoulé de la conscience du sujet, (...) comme un symbole écrit sur le sable de la chaire[29]». Cette parole qui passe par le corps est alors à déchiffrer par l'analyste: « hiéroglyphes de l'hystérie, blasons de la phobie, le labyrinthe de la Zwangsneurose (névrose obsessionnelle), - charmes de l'impuissance, énigme de l'inhibition, oracles de l'angoisse, - armes parlantes du caractère, sceaux de l'auto-punition, déguisements de la perversion, - tels sont les hermétismes que notre exégèse résout, les équivoques que notre invocation dissout, les artifices que notre dialectique absout, dans une délivrance du sens emprisonné, qui va de la révélation du palimpseste au mot donné du mystère et au pardon de la parole[30].»

Les moyens de la technique psychanalytique sont par conséquent ceux de la parole. La psychanalyse n'a qu'un médium, c'est la parole du sujet. Et pour libérer la parole du sujet, le psychanalyste doit l'introduire au langage de son désir, c'est-à-dire « au langage premier dans lequel, au-delà de ce qu'il nous dit de lui, déjà il nous parle à son insu, et dans les symboles du symptôme tout d'abord[31]. »

Le domaine de la technique est celui du discours concret en tant que champ de la réalité transindividuelle du sujet. L'inconscient étant la partie de ce discours concret transindividuel qui fait défaut à la disposition du sujet pour rétablir la continuité de son discours conscient. Jacques Lacan définit justement l'inconscient comme étant le chapitre de notre histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge, c'est le chapitre censuré. Mais sa vérité peut-être retrouvée. Cette vérité est souvent déjà écrite ailleurs,  par exemple dans le corps avec le symptôme de conversion hystérique qui montre la structure d'un langage se déchiffrant comme une inscription qui, une fois recueillie, n'a plus lieu d'être. Comme aussi les souvenirs d'enfance dont on ne connaît pas la provenance. Comme, également, dans l'évolution sémantique du vocabulaire de l'individu, qui témoigne de ce qui lui est singulier, du style de sa vie et de son caractère -par l'énonciation de son discours. Comme, encore, dans les traditions, voire dans les légendes qui véhiculent l'histoire de l'individu sous une forme héroïsée. Et comme, enfin, dans les traces émanantes des raccords comblant ce chapitre inconscient méconnu, dont l'exégèse de l'individu rétablira le sens.

Les opérations de l'analyse sont par là celles de l'histoire en tant qu'elle constitue l'émergence de la vérité dans le réel. Le but sera la reconstruction de l'histoire du sujet. Dans la psychopathologie de la vie quotidienne, le désir du sujet peut s'y faire entendre dans l'acte manqué, que l'on peut plutôt qualifier de réussi si on se place dans la perspective du sujet de l'inconscient. Le désir peut également s'y faire entendre dans le lapsus, où le « bâillon tourne sur la parole, et juste du cadran qu'il faut pour qu'un bon entendeur y trouve son salut[32]. » Et pendant le travail analytique, le désir se fera entendre à la manière de l'attention diffuse, dite aussi distraite, au flottant, ou d'égal à égal qui ne vise pas un objet au-delà de la parole du sujet, mais plutôt la parole du sujet.

Quand le sujet s'engage dans l'analyse, il accepte une position d'interlocution. C'est cette position qui est constituante, bien plus que toutes les autres consignes dans lesquelles il accepte plus ou moins de se leurrer. Cette position d'interlocution comporte nécessairement une adresse à un allocutaire - le grand Autre dans la théorie de Jacques Lacan, dont l'analyste prend la fonction par sa place de sujet supposé savoir. Le locuteur se constitue donc dans cette position comme intersubjectivité. L'interlocution implique également la réponse de l'interlocuteur, toute parole appelle réponse. Cette réponse attendue est la restitution de la continuité dans les motivations du sujet. Ceci ne peut se faire, d'un point de vue opérationnel, que dans la continuité intersubjective du discours où se constitue le sujet. Lacan avance qu'au début de l'analyse, l'être du sujet n'est pas réalisé. Il existe implicitement, d'une façon virtuelle, mais s'il n'est jamais entré dans aucune dialectique, l'individu à beau se croire dans le réel, son être n'a aucune présence. La parole du sujet incluse dans le discours se décèlera alors grâce à la loi de la libre association qui met ses discours en doute, en suspendant la loi de non-contradiction du discours conventionnel. La parole a une fonction symbolisante. Aussi, elle introduit un effet de signifiant qui transforme le sujet à qui elle s'adresse par le lien qu'elle établit avec celui qui l'émet. Cette révélation de la parole, c'est la réalisation de l'être.

Cette technique psychanalytique est conceptualisée dans le champ de la cure psychanalytique. Pour ne pas confondre deux champs différents, la dernière étape a été d'étudier les possibilités d'utilisations de cette technique dans le champ psychiatrique.

 

IV. Les possibilités d' « utilisation » de la technique psychanalytique en psychiatrie aujourd'hui: place de la psychothérapie analytique à l'hôpital.

 

A l'hôpital, le travail analytique ne parait pas, de principe, impossible quant au problème de la demande. Car, même si celle-ci n'est pas d'emblée présente lors de la rencontre ( parfois non choisie), il y a parfois la possibilité qu'elle soit créée par l'offre que le clinicien soutiendra. Ceci à partir de son propre désir. C'est une possibilité, une ouverture possible, dans laquelle n'entrent pas tous les patients. Il faut alors le repérer et ne pas s'entêter dans un travail analytique impossible. De même pour le transfert, c'est le désir d'analyser qui crée le transfert analytique. A ceci près que, quel que soit le génie propre de l'analyste, on ne peut pas toujours créer du transfert analytique. Le cadre hospitalier, les circonstances de la rencontre entre le patient et le clinicien ne sont donc pas incompatibles avec un travail analytique, ceci à condition que le clinicien le permette, c'est-a-dire qu'il y ait du désir d'analyser – qui peut se retrouver dans la pratique par exemple par un effort constant de décoller le discours manifeste du discours latent. Et ce désir d'analyser du clinicien doit être lui même analysé, ce qui ne peut se faire qu’après un cheminement personnel qui est celui du « devenir analyste ». Dans ces conditions, la place de la psychanalyse dans le monde du soin en psychiatrie est possible avec la psychothérapie psychanalytique. Sa frontière avec la psychanalyse apparaît cependant comme mobile, voir floue. Elle se situe à l'endroit où le clinicien se retrouve confronté aux conditions de la réalité qui ne lui permettent pas de dérouler intégralement la technique analytique selon les règles. A chaque fois, le clinicien doit se repérer par rapport aux éléments qui font limites. Cela peut être le cadre, les exigences médicales ou institutionnelles, l'absence de demande de la part du patient, ou l'absence d’un transfert analytique... En fonction, pour reprendre S. Freud, il s’agira alors pour le clinicien de «  mêler le cuivre de la psychothérapie à l'or de la psychanalyse ». Ainsi, la psychothérapie psychanalytique se distingue du groupe des psychothérapies qui visent uniquement un retour a l’état antérieur aux troubles par l’abrasion du symptôme. En concomitance de la visée psychothérapie classique s’intègre la notion freudienne d’un « plus de sujet », progrès dans le sens de la réalisation du sujet effectué lors de « moments analytiques ». Ça ne sera qu’après coup qu'on pourra dire si de tels moments ont eu lieu ou non. Par ce progrès, le symptôme n’a alors nul besoin de muter ou de se déplacer pour pérenniser son utilité de compromis. Il chute. Ainsi, ce qui fait lien dans la relation médecin-malade et dont le médium est la parole se retrouve davantage maîtrisé. Comme S. Freud l'indiquait dans ses « Conseils aux médecins[33] », où il posait une part de la psychanalyse comme moyen thérapeutique en médecine, il s'agit d'un véritable « gain » thérapeutique. Mais il s'agit davantage que d'un éventuel outil thérapeutique à la disposition du psychiatre, que celui-ci pourrait ou non choisir d'utiliser, car ce qui fait lien, la parole et ses effets, s'imposent inéluctablement dans la relation médecin-malade.

 

 



[1] JANEL N.– Place de la psychanalyse en psychiatrie, de la parole et de ses effets dans une pratique hospitalière en psychiatrie – travail de thèse de médecine, faculté de médecine de Strasbourg, UDS, 2010

[2] LACAN J. – Fonction et champ de la parole et du langage (1953) - p. 244.

[3] FREYMANN J.-R. – Introduction à l'écoute (1999) – Strasbourg, Arcanes érès, 2eme édition, 2002, p. 11-66

[4] Terme emprunté à Daniel LEMLER – Présentation : Lucien Israël, un itinéraire freudien. Psychanalyse et médecine ; In : ISRAEL L. – Le médecin face au désir. Le parcours freudien de Lucien Israël – Strasbourg, Arcanes/Apertura, 2005

 

[5] LACAN J. – Le séminaire livre X. L’angoisse – Paris, Seuil, 2004 (1962-63), p. 69-70.

[6]      FREUD S. - Théorie de la libido – GW XIII, 1923.

[7] DANION J.-M. - Neurosciences et psychanalyse : le risque de l'amalgame sémantique ≫ - Intervention faite lors du colloque Quelle est l’utilité du dialogue entre les neuroscientifiques et les psychanalystes?; Vendredi 16 avril 2010, Faculté de Psychologie, Strasbourg.

[8] LACAN J. (1962-63)– Le séminaire livre X. L’angoisse – Paris, Seuil, 2004

[9] Nous préférons le terme ≪ symbole ≫ acoustique à ≪ image ≫ acoustique, car il s'agit bien du registre symbolique.

[10] FREUD S. - De la psychothérapie (1904) ; op. cit.

[11] LACAN J. – Fonction et champ de la parole et du langage (1953) - In : Écrits 1, Paris, Seuil, 1999 (1966),

p. 287-287.

[12] LACAN J. – Variantes de la cure-type (1955) - In : Écrits 1, Paris, Seuil, 1999 (1966).

[13] LACAN J. – La direction de la cure et les principes de son pouvoir  (1958) – In : Écrits 2, Paris, Seuil, 1999

(1966).

[14] ETCHEGOYEN R.-H. - Fondement de la technique psychanalytique – Paris, Hermann, 2005, p.21.

[15] LACAN J. – Fonction et champ de la parole et du langage (1953) - In : Écrits 1, Paris, Seuil, 1999 (1966), p.

238.

[16] Idée rapportée de nos discussions ayant eu lieux lors de l'élaboration du travail de thèse.

[17] LACAN J. – Le séminaire livre I. Les écrits techniques de Freud – Paris, Seuil, 1975 (1953-1954), p.128.

[18] LACAN J. – Fonction et champ de la parole et du langage  (1953) - p. 244.

[19] LACAN J. – Le séminaire livre I. Les écrits techniques de Freud – Paris, Seuil, 1975 (1953-

1954).

[20] Nous préférons ce terme au terme classique d' « image acoustique » , car avec le signifiant, on est bien dans le registre symbolique.

[21] Spitz R. A. - Recherches sur les données du développement infantile-  Conférence inaugurale du 26ème Congrès des psychanalystes de langues romanes; Revue française de psychanalyse, XXX, sept-déc. 1966, p.561

[22] LACAN J. – Le séminaire livre X. L’angoisse – Paris, Seuil, 2004 (1962-63), p. 376

[23] FREYMANN J.-R. – La naissance du désir – Strasbourg, Arcanes érès, 2005, p. 55-57

[24] FREYMANN J.-R. – La naissance du désir – Strasbourg, Arcanes érès, 2005, p. 11

[25] Ibid. p.117

[26] LACAN J. – Fonction et champ de la parole et du langage (1953) - In : Écrits 1, Paris, Seuil, 1999 (1966), p. 278

[27] Ibid  p. 279

[28] Ibid  p. 279

[29] Ibid  p. 279

[30] Ibid  P. 279

[31] Ibid  p. 292

[32] LACAN J. – Fonction et champ de la parole et du langage (1953) - In : Écrits 1, Paris, Seuil, 1999 (1966), p. 266

[33] FREUD S. – Conseils aux médecins sur le traitement analytique  (1912) – In : La technique psychanalytique

– Paris, PUF, 2007 (1953).

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