Structure névrotique (hystérique) et société
L'hystérie est-elle dépassée[1] ?
La société actuelle pousse-t-elle la structure psychique névrotique à se modifier ? On constate une disparition du terme « hystérie » dans les grandes classifications internationales ( DSM 4R et CIM 10) qui font office de référence aujourd’hui. N’est-ce qu’un effet de changement de nomination – changement de nomination qui renseigne déjà sur l’approche du fonctionnement psychique dominante actuelle – ou est-ce plus profond ? C’est à dire, assiste-t-on uniquement à un changement de terme pour parler d’un même fonctionnement psychique qui reste présent – même si on ne veut plus en entendre parler ; ou ce fonctionnement psychique, la névrose et particulièrement l’hystérie, se modifie-t-il pour laisser place à d’autres types de structures psychiques, certains diraient à d’autres types d’économie psychique[2] ?
Ensuite, en retenant que ces modifications structurales se produisent, est-ce en conséquence de modifications sociétales – comme le défendent par exemple les auteurs de la nouvelle économie psychique et de la perversion ordinaire[3]? Et si oui, de quelle manière?
Poser cette question, c'est déjà considérer que c'est le collectif qui a un effet sur l'individuel. Or, on pourrait tout à fait défendre, qu'au contraire, c'est la somme des fonctionnements individuels qui font le collectif et les changements sociétaux et culturels éventuels. Il suffit de considérer, sur le plan individuel, le fantasme névrotique et sa quête imaginaire sans fin vers l'objet de sa jouissance. Car on retrouve une valorisation de la jouissance dans la névrose, c'est à dire une défense contre la castration. On peut très bien proposer que cela va, secondairement, se mettre en place sur le plan collectif avec une réponse par la consommation d'objets en tout genre, mais cependant toujours rapidement obsolètes. On voit bien que là, c'est le fonctionnement individuel névrotique qui va avoir des effets sur le collectif, qui, grâce à la modernité et à la science, a de plus en plus de moyen de maintenir l'illusion de faire correspondre l'objet de la réalité à l'objet de la jouissance. Finalement, on peut pousser la question plus loin et se demander s'il n'y aurait pas des effets d'aller-retour entre l'individuel et le collectif – cette dynamique pouvant avoir des effets sur la structure psychique.
Mais revenons à notre question initiale, la question de l'effet des modifications de la société sur la structure psychique. Pour apporter des éléments de réponse, je tenterai de déplier plusieurs problèmes. Tout d'abord, il est nécessaire de savoir comment une structure psychique s'instaure chez l'humain. Je tenterai d'en tisser les grandes mailles, sans forcément rentrer dans les particularités qui mènent à telle ou telle structure particulière (pas de focalisation sur l'hystérie, d'où mon titre où le terme hystérie est mis entre parenthèses). Ensuite, connaître les déterminants de la structure psychique va nous permettre de savoir si celle-ci est, au moins pour une part, déterminée par la société dans laquelle elle baigne? Et si oui, de savoir selon quelles modalités cette détermination s'effectue.
L’exposé n'apportera que peu de données proprement cliniques. En effet, l’accent sera mis sur des questions méta-psychologiques, qui resteront à discuter et que je n’aurai pas la prétention de résoudre. Ceci dit, n'oublions pas que c'est avant tout par la pratique que l'on peut saisir si une structure, comme l'hystérie est en train de disparaître. C’est la pratique clinique qui seule peut véritablement nous renseigner sur le fonctionnement psychique des individus et sur leurs éventuelles modifications structurales. Même si l’angle de vue est nécessairement réduit pour l’analyste qui travaille à un endroit donné, à une période donnée et somme toute limitée par rapport à l’échelle du temps des civilisations – le système économique néo-libéral[4] semble, ceci-dit, avoir tout de même induit un changement brusque et sans précédant dans la société occidentale.
On peut définir très brièvement le terme de « structure » en reprenant Althusser[5] : un système de signes caractérisés uniquement par leurs valeurs oppositives et leurs écarts différentiels et qui se présente comme un ordre qui n’est produit par aucune raison individuelle. J'ajoute que c'est un système dynamique, toujours en mouvement.
En passant, j'aimerai faire remarquer que réfléchir à l'instauration de la structure psychique en psychanalyse nous fait forcement tomber dans une tentative impossible de combler notre manque - ici, manque de savoir sur nos origines. Lors de sa conférence du 16 octobre 2006 à Strasbourg intitulée « René Diatkine/Louis Althusser : un débat entre genèse et structure[6] » , Philippe Koeppel nous rappelait que « d’une manière ou d’une autre, nous ne cessons d’être hantés par la question de nos origines ». Il repérait que cette question du mythe des origines peut prendre différentes formes : soit se cacher sous le chaînon manquant des paléontologues ; soit se cacher derrière le dernier hominidé recensé par les anthropologues ; soit se dissimuler dans les trous noirs [ou le big-bang] des astrophysiciens ; soit se chercher dans les racines de notre généalogie, etc. Et à chaque fois, on constate que cela n’apparaît jamais que comme ce qui se dérobe à nous. P. Koeppel parle à cet endroit d' « immémoriale illustration du manque ». Réfléchir à l'instauration de la structure psychique en psychanalyse est du même ordre. Il ne faut donc pas être dupe, on ne peut que proposer des hypothèses qui resteront nécessairement marquées par le goût de l'insatisfaction. Freud, le premier en psychanalyse, se conforme souvent à la théorie de la récapitulation d’Ernst Haeckel[7] : « l’ontogenèse répète la phylogenèse». On retrouve souvent chez Freud l'idée que l'histoire de l'humanité équivaut à l'histoire d'un être humain au ralenti. Il fait des allé-retours entre phylogenèse et ontogenèse et crée ainsi un mythe des origines pour l'humanité et l'individu. Ses disciples persistent dans la théorie de la récapitulation (Otto Rank, Ferenczi, Lou Salomé, etc.) et la question du mythe des origines pousse la psychanalyse à rechercher un éclairage du côté de la science proprement dite. Cela la mène vers la perspective génétique en psychanalyse[8], notamment en 1966 avec René Arpad Spitz qui pose la question : « Comment est-ce que l’on arrive de la masse inorganisée, psychologiquement chaotique, présente à la naissance, jusqu’au langage, et depuis le langage, à la pensée[9]? ». On retrouve chez lui tout un programme, à cheval entre l’inné et l’acquis, impliquant notamment la mise en relation des faits psychanalytiques avec ceux découverts par les sciences dites limitrophes comme l’éthologie, la phylogenèse, l’embryologie, etc. Enfin, P. Koeppel apporte « qu'à première vue, le programme structuraliste échappe à la fascination de l’illusion archaïque, dans la mesure où il écarte d’un geste fondateur la problématique des origines et, du même coup, élimine de ses préoccupations la question de l’articulation des faits relevant du domaine de l’humain (autrement dit de la culture, de la convention – ce que les Grecs appelaient la thesis) avec les faits relevant du domaine naturel (de la physis[10]) […] Tout ce qui concerne l’origine et le passage d’un domaine à l’autre est forclos de ce programme par principe. Pourtant, les écrits de Levi-Strauss démontrent aussi bien qu’on ne se débarrasse pas si facilement du problème : il semble au contraire qu’en congédiant l’articulation ils reviennent inlassablement sur la démarcation de la frontière (voir, par exemple « Nature et Culture », premier chapitre des Structures élémentaires de la parenté, 1947). P. Koeppel repère alors une subdivision chez les structuralistes: d'un côté, un « structuralisme mou, dans lequel la culture malgré tout redoublerait la nature, voire la copierait, quoique de façon métaphorique – position perceptible chez Levi-Strauss et que l’on retrouve chez le Lacan des débuts (voir par exemple la séance du 1er décembre 1954 du Séminaire sur le moi) »; de l'autre côté, un « structuralisme dur dont tout naturalisme est banni et dont, sans doute, le fameux slogan : « Il n’y a pas de rapport sexuel » constitue la pointe dernière chez un Lacan qui semble pourtant avoir, après 1969, quelques distances avec le programme initial ».
Après tout un passage par un « structuralisme mou » et l'idée d'une genèse de la subjectivité humain ; je retiens aujourd'hui, dans le chemin de ma réflexion, l'idée du « surgissement du sujet » – « structuralisme dur » selon P. Koepel.
Genèse et surgissement ne signifient pas la même chose. L'illustration classique de la genèse de la subjectivité est celle du cri. Dans ce cas, l'idée est que l'enfant rencontre l'aperception d'autrui ( l'Autre maternel) qui reconnaît et entérine le sens du cri, par une « interprétation adultomorphique organisatrice[11] » qui fait entrer l'enfant dans le monde du sens ( cri = faim). Il s'agit d'un « hameçonnage » du réel du corps de l'enfant par les signifiants de l'Autre maternel. A partir de quoi, on peut construire toute la genèse du sens pour le sujet, dans son lien à l'Autre, avec les phénomènes de déplacement et de condensation qui tissent, au fur et à mesure du développement, la structure.
L'idée du surgissement, par contre, est que l'enfant rencontre un ordre sensé et rationnel déjà installé : l'ordre symbolique ; dont les parents ne sont que les porteurs. Il s'agit d'une reproduction du langage déjà existant dans le milieu où l'enfant apparaît. C'est à dire qu'auparavant il y a bien une structure « externe », à laquelle l'enfant se trouvait assujetti à partir d'un discours ambiant. Et tout à coup, cette structure se met à fonctionner sous le la gouverne d'un « je ». Et ce passage du nourrisson, soumis aux besoins, à l'individu affecté d'un inconscient, se fait par identification. Après ce passage, il n'y a plus d'accès au monde antérieur au langage, qu'on peut qualifier de monde animal, de monde de la jouissance. Mais il se posera malgré tout la question du ratage du passage de la structure d'un porteur à un autre. On ne peut exclure que cette transmission de structure soit plus ou moins bien assurée- et déjà par les porteurs précédents.
Dans ce passage de la structure, dans cette transmission de l'ordre symbolique, je vais y faire deux découpages :
- un premier découpage en deux étapes logiques : transmission de la « matière symbolique », et transmission de l'ordre ;
- un deuxième découpage en différentes régions du symbolique, pour repérer les régions du symbolique qui sont influencées par la société et la culture.
Je fais ce découpage pour nous permettre de mieux conceptualiser les choses. Mais on comprend que si on raisonne de manière structurale, ces deux étapes logiques sont intrinsèques à la structure. L'une ne va pas sans l'autre : pas de sens sans ordre qui organise la matière symbolique ; pas d'ordre sans contenu, c'est à dire sans « matière symbolique » à organiser.
Si on se focalise, dans notre découpage, sur la transmission de la « matière symbolique », on peut dire que pour la structure, peu importe cette matière. Peu importe la matière tant qu'il y a de la matière à ordonner. Pour faire une comparaison, qu'il arrive de l'eau verte, ou rouge, ou bleu au moulin, peu importe, le tout est qu'il arrive de l'eau. Couple monogamique, homosexuel, famille monoparentale ou recomposée, peu importe donc ici, le tout est que cela fasse matière.
Ici, la castration, c'est à dire l'inscription de la fonction paternelle, en tant que coupure, a un rôle : le rôle de légitimer la prévalence de l'absence inhérente à la condition langagière. Je situe la fonction paternelle comme un après-coup logique (donc non chronologique), de la coupure d'avec le réel qu'impose la prise dans le langage (dans l'ordre symbolique). La fonction paternelle permet l'inscription de l’irréductibilité de la perte – perte, je le répète, inhérente à la prise dans le langage. Ceci, par exemple, en signifiant à l'enfant, dans la structure même du discours maternel, qu'il n'est pas tout pour elle (la mère). C'est la castration, qui permet au sujet de se réapproprier le système symbolique et d' « ek-sister » hors de l'aliénation maternelle, hors d'un assujettissement total à l'Autre. L'enfant passe du « ça parle », « ça pense » au « je parle », « je pense ».
J'insiste sur le fait que cette impossibilité d'être « tout pour l'Autre maternel » est, dans le meilleur des cas, présent dans la structure du discours de la mère. C'est ce qui déterminera la névrose. C'est structural et d'emblée là, avant même que l'enfant naisse, dès qu'il est parlé.
Tel le jeu de casse tête qui nécessite une case vide pour que les autres cases puissent se déplacer, il est nécessaire à la structure névrotique d'être trouée, d'avoir « une case manquante ». On comprend donc que dans la transmission de l'ordre (symbolique), la fonction paternelle en tant que ce qui vient inscrire le manque, est nécessaire à la structure névrotique. La fonction paternelle y apparaît comme l'agent (oedipien) qui permet la soustraction de jouissance nécessaire à une subjectivation.
La structure névrotique nécessite par conséquent de la « matière symbolique », ainsi que l'inscription de la fonction paternelle.
Faisons maintenant notre deuxième découpage : découpage en régions du symbolique.
Dans la transmission de l'ordre symbolique, l'enfant semble « jeté » dans une structure extérieure, dans un milieu déjà ordonné. Mais quelle est la nature des éléments effectivement en présence dans ce milieu et le constituant ? On peut déjà dire que l'enfant tombe dans le milieu familial immédiat, et non dans la société en général, ou la culture en général.
Reprenons ce qu'apporte Althusser[12]. Dans ce milieu familial, on peut y repérer, parmi différentes régions du symbolique, certaines régions influencées par la civilisation et la culture : la structure familiale concrète dans laquelle « tombe l'enfant » ; et les rapports idéologiques à cette structure familiale.
Il s'agit de la partie de cette « région » du symbolique qui est constituée par les structures familiales. C'est à dire la structure de la parenté telle qu'elle existe à la naissance de l'enfant. L'exemple donné par Althusser, en 1964, est le couple monogamique, avec toutes ses règles de relations.
Il s'agit ici des parties concernées de cette autre « région » du symbolique, qui est constituée par les formes idéologiques existantes dans lesquelles sont concrètement vécues les structures de la parenté considérées : la forme idéologique du couple, du père, de la mère, de la paternité, de la maternité, la forme idéologique de l'enfance, et toutes les formes idéologiques, morales, religieuses, attachés à ces formes idéologiques parentales. Ces formes idéologiques parentales étaient dominées, à l'époque d'Althusser, par les formes idéologiques morales, juridiques et religieuses, c'est à dire par les formes idéologiques se rattachant au patriarcat.
Pour répondre à notre question, on doit donc s'interroger sur les effets possibles des modifications sociétales actuelles sur ces deux régions du symbolique.
D'abord, il nous est nécessaire de passer en revue les modifications sociétales actuelles.
On constate aujourd'hui, pour une part, une fragilisation des représentants de la fonction paternelle dans la société. On peut l'expliquer selon différentes voies : selon l'effet d'un glissement de la démocratie et selon l'effet de la logique marketing de notre société néo-libérale, dite « de consommation ».
Selon J.-P Lebrun[13], depuis un demi siècle, la répartition entre les hommes et les femmes d'un côtéet les chefs-pas chefs, de l'autre côté, a été dénoncée comme abusive. Cela tend a devenir par conséquent obsolète, ce qui est source d'un grand progrès. Mais, si dans la démocratie le pouvoir reste représenté, un glissement supplémentaire est celui du « démocratisme » qui récuse tout principe d'autorité et légitime l'égalitariat où toute différence de place et de sexe est escamotée. Il en résulte deux éléments nouveaux, allant dans le sens d'un effacement du patriarcat :
- l'égalité homme-femme, qui tend à effacer tout appui dans la société qui légitimerait la différence des sexes ;
- l'égalité des places dans la société, qui tend à effacer tout rapport de transcendance, et par conséquent qui tend à effacer tout appui dans la société qui légitimerait la différence des générations.
La logique marketing de notre société, dite de consommation, néo-libérale, viendrait donner l'illusion du comblement du manque – qui est, comme on l'a vu, constitutif du sujet – par l'objet de consommation, directement dans la réalité. L'objet de consommation se ferait prendre pour l' « objet a » de Lacan, il viendrait illusoirement tenter de répondre à notre « manque à être » dans la réalité. Le marketing, qui tient fermement mais insidieusement le manche de notre société, nous donnerait ainsi l'illusion d'un retour possible à la jouissance[14] – dont l’effet corollaire est l'annihilation du sujet.
On peut donc retenir ici une tendance à l'effacement de tout appui légitimant le manque dans notre société.
Au final, avec l'effet du « démocratisme » et de la logique marketing, il en résulte dans notre société une perte des soutiens de notre condition langagière: un effacement des appuis légitimant la différence des sexes , un effacement des appuis légitimant la différence des générations, un effacement des appuis légitimant le manque, la perte. La prévalence de l'absence n'est plus soutenue, or l'absence est déterminante pour la structure névrotique.
Après avoir poser notre hypothèse sur l'instauration de la structure psychique, y avoir repéré les éléments possiblement influencés par la société, et après avoir développer les modifications actuelles de notre société, que peut-on en déduire ?
Reprenons les deux régions du symboliques repérées comme influençables par la société et la culture : la structure familiale et les rapports idéologiques à cette structure de la parenté.
Concernant la transmission de la « matière symbolique », nous avons vu que cette dernière est toujours transmise, même pour ces régions du symbolique influencées par la société : aucune fragilisation de ce côté là.
Concernant la transmission de l'ordre, la conséquence est effectivement une fragilisation de l'inscription de la fonction paternelle, qui tend à se retrouver sans appui dans la société et donc, par capillarité, dans la famille (selon le degré d’hermétisme de la famille par rapport aux changements sociétaux). La structure de cette famille peut être aujourd'hui par exemple « monoparentale ». Les rapports idéologiques à la structure familiale ont changé et ne dépendent plus forcément de la logique patriarcale.
Les deux régions du symbolique influencées par la société et la culture se retrouvent donc fragilisées. Cependant, n'oublions pas que, dans notre construction, d'autres régions du symbolique où « tombe » l'enfant, non inhérentes à la société, peuvent continuer d'inscrire la fonction paternelle nécessaire à la structure névrotique[15]. C'est à dire d'autres régions du symbolique où il est contenu que l'enfant n'a pas le même droit que son père – ou que quelqu'un d'autre, peu importe (l'exemple du concierge ou de la bonne est souvent donné à cet endroit). Il s'agit donc d'endroit du discours où l'enfant n'a pas le même droit sur sa mère. La mère s'y révèle dotée de l' « intolérable » statut de double emploi : mère pour le petit garçon, mais aussi femme pour le père – ou autre chose pour quelqu'un d'autre[16]. J'utilise le terme « intolérable » car l'effet est celui de la castration, qui coupe pour de bon le sujet du monde de la jouissance, dans cet après-coup logique œdipien – après-coup de la perte initiale d'avec le réel et, je le répète encore, inhérente à la prise dans le langage. Ce terme « intolérable » permet de signifier que, là où il peut, l'humain tente toujours, pour une part, de faire décliner ce qui fait obstacle à sa jouissance : dans la société par exemple, mais avant tout dans son fantasme. Finalement, on peut dire que c'est la fonction même du père que d'être toujours « en train de décliner ».
La structure névrotique semble, par conséquent, avoir encore de l’avenir, malgré la fragilisation des appuis de la fonction paternelle dans la société. On ne peut nier une fragilisation de certaines régions du symbolique, mais le minimum requis pour l’instauration de la structure névrotique me semble perdurer indépendamment de la société. À cette étape de mon chemin de réflexion, pour proposer une réponse à la question-titre de cette journée, je pourrai dire que, suivant la logique exposée ici, l’hystérie ne peut théoriquement pas être dépassée par un effet de notre société – restera à le confirmer dans l’avenir de la pratique.
Nicolas Janel
[1] Intitulé de la journée de formation, sous forme de question.
[2] C. Melman (2002), L’homme sans gravité, Paris, édition Denoël, 2002.
[3] J.-P. Lebrun (2007), La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Denoël, 2007.
[4] À partir de Michel Foucault, le néolibéralisme est présenté comme une technique de gouvernement, une politique économique et sociale étendant l'emprise des mécanismes du marché à l'ensemble de la vie.
[5] L. Althusser (1964), Écrits sur la psychanalyse, Freud et Lacan, Éditions Stock/Imec, 1993.
[6] P. Koeppel (2006), René Diatkine/Louis Althusser : un débat entre genèse et structure, conférence du 16/10/06, Strasbourg .
[7] Ernst Haeckel (Potsdam 1834, Iéna 1919) ; biologiste, philosophe et libre penseur allemand, disciple de Darwin. On lui doit le terme " écologie ". Il a fait connaître les théories de Darwin en Allemagne et a développé une théorie des origines de l'homme.
[8] Voir les deux numéros de La Revue française de psychanalyse, tome 30, année 1966.
[9] R. A. Spitz, Recherches sur les données du développement infantile, Conférence inaugurale du 26e Congrès des psychanalystes de langues romanes, Revue française de psychanalyse, XXX, sept-déc. 1966, p.561
[10] Terme empruntés à J.C. Milner tel qu'il en use dans son livre : Le périple structural, Paris, Seuil, 2002, p.181 et suivantes.
[11] Expression de Diatkine ( R. Diatkine, Agressivité et fantasmes d’agression, intervention prononcée au 25e Congrès des psychanalystes de langues romanes et publiée dans le tome XXX de la Revue française de psychanalyse, n° spécial, 1966).
[12] L. Althusser (1964), Écrits sur la psychanalyse, Freud et Lacan, Éditions STOCK/IMEC, 1993, p. 103-105.
[13] J.-P. Lebrun (2007), La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Denoël, 2007, p. 93.
[14]J.-P. Lebrun parle de « perversion ordinaire ». Expression qui peut se discuter. Tout d'abord, il faut rappeler le risque d’amalgame entre l'individuel et le collectif : psychose, névrose et perversion sont des termes destinés à désigner un type de structure psychique – donc individuel – et non une structure sociétale. Ensuite, cette valorisation de la jouissance n'est-elle pas aussi, pour une part, le propre du fantasme névrotique, comme défense contre la castration. Dans le fantasme névrotique, cette jouissance ne se concrétise jamais. Il est tentant ici de faire le parallèle avec l'objet de la consommation qui justement perd rapidement sa valeur de jouissance – après son obtention, il chute.
[15]Gérard Pommier va plus loin en allant jusqu'à proposer une persistance de la symbolisation phallique qui se passerait totalement du patriarcat et de ses avatars religieux. Il se demande où la loi va-t-elle aujourd'hui prendre sa source, non pas la loi imposée de force par la société, mais la conviction intime qui amène chaque sujet à départager le bien du mal, et à agir en conséquence ? Il avance que jusque-là, la culpabilité inconsciente de l'humain orientait son éthique et sa relation aux semblables. Mais puisque ce semblable me dit qui je suis, le rapport au semblable est aussi commandé par le narcissisme. Par conséquent il pose que cette relation, l'amour, est dans une relation d'implication mutuelle avec la loi. Lorsque l'idéal se défait, c'est l'amour qui désormais devrait faire la loi. Gérard pommier construit cette hypothèse à partir de la lecture de malaise dans la culture de S. Freud, où il est considéré, dans le chapitre 8, deux Sur-moi, l'un héritier du père oedipien ; l'autre d'origine narcissique (tu aimeras ton prochain comme toi-même). Quand le père se retire, l'autre, le narcissisme, avec l'amour, prévaut. ( voir : G. Pommier, Les corps angéliques de la postmodernité, Calmann-Lévy, 2000, p.165-181).
[16]Mais Charles Melman propose ici l'idée d'une désexualisation de l'inconscient du fait de la perte de la conjonction entre ce que Lacan nomme le Nom du père et la « chute des éléments de la chaîne inhérente à la structure elle même » (perte inhérente à la prise dans le langage). N'étant plus à l'origine d'une insatisfaction, le père ne viendrait plus sexualiser l'impossible. Il en résulterait une possibilité de manque, mais non sexualisé, non phallicisé. (voir C. Melman (2002), L’homme sans gravité, édition Denoël, 2002, p. 166-168).