Nicolas Janel - 15 avril 20141
Avec Pascale Gante, Cyrielle Weisberger et Xavier Wallerand, nous faisons un cartel autour de ce séminaire, on essaie de suivre pas à pas avec cette idée qui avait été lancée ici d’essayer de rattacher à la pratique ce qu’on peut lire dans ce séminaire, ce qui n’est pas évident surtout pour celui-là. Mais c’est ce que j’ai essayé de faire ressortir avec ce que je vais vous dire.
Merci à Jean-Richard Freymann de m’avoir proposé de prendre la parole. Je vais faire très court.
Dans son intervention du 9 février 1972 Lacan évoque Boece de Dacie. En cherchant de qui il s’agit, on trouve, entre autre, une information intéressante : « ce philosophe médiéval danois soutenait contre la religion l’idée de l’impossibilité de la création ex nihilo de l’homme ». Je crois que la question de la création est une des questions importante et commune dans les deux interventions de Lacan, celle du 9 février 1972 pour …ou pireet celle du 4 mai 1972 à Sainte-Anne. Il semble s’agir de la question de la création du signifiant dont le premier, si on peut dire, sera appelé signifiant maître ou S1, originaire de toute la concaténation qui le suivrait. Le risque, comme vous avez semblé le dire au passage, c’est justement de tomber dans une forme de psychologie, de métapsychologie, mais les gens ont du mal à ne pas tomber dans le piège. Ceci dit, pour toucher au plus près au réel de la question, Lacan va tenter, fastidieusement pour moi, d’utiliser les propriétés des nombres entiers et de leur séries notamment leur propriété commune, celle qui touche au transfert du zéro à un, qui fait leur différence à ces nombres entiers et qui lance toute leur dynamique, toute leur suite.
La question de la création ou de l’origine du signifiant, se retrouvera dans un parallèle entre l’enfant et ses parents d’une part et entre l’analysant et son psychanalyste d’autre part. Dans ce parallèle la psychanalyse apparaît comme une reproduction d’une production : reproduction d’une production de la névrose. Je le cite :
« C’est dans la mesure où elle converge vers un signifiant qui en émerge que la névrose va s’ordonner selon le discours dont les effets ont produit le sujet. Tout parent traumatique est en somme dans la même position que le psychanalyste. »
je poursuis la citation :
« Ce dont il s’agit, c’est ce signifiant, de le reproduire à partir de ce qui d’abord a été son efflorescence. »
JRF :C’est drôle ce que vous dites. Entre les parents et le psychanalyste, c’est un drôle de truc ça d’ailleurs.
NJ : Lacan fait référence ici à une efflorescence préalable comme une sorte de germe.
Je poursuis encore la citation
« Faire un modèle de la névrose, c’est en somme l’opération du discours analytique. Pourquoi ? Dans la mesure où il ôte la cote de jouissance »
Fin de citation.
J’ai fait ce même parallèle dans ma dernière communication lors de la Journée Clinique sur les Entretiens Préliminaires de samedi dernier. Comme j’avais travaillé les questions de l’ancrage chez le nouveau-né, j’étais retourné voir les différentes hypothèses explorées dans le mythe des origines pour ensuite transposer ces hypothèses à un autre temps originaire, celui de la cure analytique.
Puisque les questions de la création de l’ancrage semblent être présentes ici, je vais prendre le risque de me répéter un peu. J’avais terminé par proposer que dans toute parole adressée à l’analyste, il se remettait en circulation de manière coexistante et disjointe à la fois, comme sur les deux faces d’une même bande de Möbius, d’une part un mouvement d’accroche premier d’un signifiant venant du grand Autre, le signifiant maître, le S1, sur le réel du corps jouissant, et d’autre part un mouvement d’appropriation de la chaîne signifiante à partir de la dénégation sur l’origine des signifiants venant du grand Autre. A chaque prise de parole de l’analysant au cours de l'analyse, l’enjeu aurait été de relancer toute la dynamique de ce double processus et au passage de remobiliser ce qui n’a pas fonctionné2.
Concernant la première face de la bande de Möbius, c’est-à-dire celle concernant l’ancrage du signifiant maître sur le réel du corps, on retrouve au début du séminaire du 4 mai 1972 à Sainte-Anne, que le signifiant a deux horizons ce qui par déduction peut être également le cas pour le signifiant maître. Ces deux horizons correspondent donc d’une part au « maternel » dit Lacan - la mère ne semble pas loin derrière le grand Autre, le maternel qui est aussi le matériel, et avec matériel, à mon sens, on peut entendre le corps. Et d’autre part il y a le mathématique, là ne s’agit-il pas de toute la logique signifiante, de la concaténation signifiante comparée à une suite de nombres.
JRF :C’est très étrange mais très important.
NJ :Aussi, après avoir fait équivaloir le signifiant maître à l’une des acceptions de l’Un, celle que l’on retrouve dans l’expression « Il y a dl’Un », Lacan évoque à la fin de cette même intervention du 4 mai, que deux niveaux de l’Un se pointent dans la théorie analytique : l’Un on pourrait dire comme origine et l’Un qui se répète.
La dimension du réel du corps ressort comme inévitablement en jeu pour ce qui est de “l’origine“. Le réel du corps se confronte au signifiant du grand Autre qui accroche la jouissance du corps qui serait une jouissance mythique peut-être pulsionnelle ? C’est une question à discuter.
Lacan indique qu’au fait de parler se rapporte ce qui jouit dans le corps. Je cite :
« Ce qui parle est ce qui jouit de soi comme corps »
En posant la question : « La psychanalyse, qu’est-ce ? » Lacan répond : « C’est le repérage de ce qui se comprend, de ce qui s’obscurcit en compréhension du fait d’un signifiant qui a marqué un point du corps. »
En utilisant sa formule du Discours Analytique, il nous montre que ce qui se produit de la mise en place du sujet au niveau de la jouissance de parler, ce qui se produit à l’étage qu’il désigne comme étant celui du plus de jouir, c’est justement du signifiant maître, c’est-à-dire du S1, c’est-à-dire une production signifiante. Il stipule également que l’analyste doit procurer un supplément de signifiant, grâce à l’interprétation, sur une jouissance qui fait fonction de réel — ceci en partant de la référence au partenaire du couple, qui lui, son corps et sa jouissance ne sont pas là en analyse : c’est donc à prendre comme réel, dit-il. Il y aurait ici l’idée d’une production de signifiant dans le sens d’une création. Comme le dit souvent Jean-Richard Freymann à propos du désir, il ne s’agit donc pas pour l’analyste à procéder à une archéologie, mais à une création. Dans la pratique analytique il s’agirait de créer un nouvel ancrage à partir de la supposition que cela aurait déjà existé, alors que ça ne serait seulement que dans l’après-coup que cela existerait. Une sorte d’ancrage préexistant inexistant où le zéro qui équivaut à l’ensemble vide, qui n’est pas rien, se créerait dans sa recherche elle-même, à partir d’un zéro équivalent au néant, mais d’où se ferait sentir un manque. Autrement dit, ce serait en cherchant quelque chose d’inexistant que se produirait l’existence elle-même de l’ancrage.
Ceci ne veut pas dire que l’analyste doit empêcher l’analysant de rechercher. Au contraire c’est bien parce qu’il va chercher “quelque chose “ qui n’existera qu’après l’avoir cherché, qu’il pourra produire justement quelque chose d’autre en cours de route. Ce « quelque chose“ apparaît d’ailleurs comme une des causes du transfert, puisque « même si ce n’est pas ça », pour reprendre l’expression présente dans la séance du 9 février 1972, ce « quelque chose » qui est demandé va être supposé su par l’analyste et s’inscrira dans une recherche de jouissance supplémentaire. Pourquoi ? Car le patient qui se met à parler constate qu’il en dit plus long qu’il n’en sait quand il parle. Le patient constate que sa parole se règle, sans pour autant qu’il le décide, comme en écho à une part de lui-même qu’il méconnait.
Ainsi, celui qui s’engage dans l’analyse semble déduire que, puisqu’il y a un savoir qui lui échappe, un sujet est supposable à ce savoir. C’est ce qu’il déposera sur l’analyste qui prendra place dans la réalité de son inconscient. Et ce savoir est un savoir qui se rattache à la jouissance de celui qui parle. C’est pourquoi l’analyste qui est supposé avoir un tel savoir est aimé comme si l’amour venait au défaut de la jouissance.
Par conséquent parce qu’il y a une question initiale sur la jouissance, jouissance dont un savoir est supposé répondre, le résultat de la prise de parole est l’amour de transfert. Lacan précise que l’analyste « en corps installe l’objet aà la place du semblant ». L’analyste doit alors, même s’il sait que « ce n’est pas ça » soutenir ce dépôt. Cela lui permet d’accrocher l’analysant à partir de la jouissance de l’analysant, jouissance qui ne pourra plus survivre, comme le dit Lacan, puisque la répétition de cette jouissance ne sera plus vaine, vaine de signifiants procurés par l’analyste. Je cite la phrase à laquelle je fais allusion :
« La jouissance ne survit qu’à ce que la répétition soit pour elle toujours la même. Toute reduplication la tue. »
Lacan fait référence me semble-t-il à la jouissance du corps, donc, peut-être, pulsionnelle ? A noter qu’une autre répétition peut s’engendrer ensuite — ce sont des temps logiques — celle des signifiants eux-mêmes, peut-être dans une jouissance de l’Autre cette fois à partir de laquelle le sujet devra pouvoir se séparer. C’est l’autre face de ma bande de Möbius où l’accès à la jouissance phallique serait possible. C’est-à-dire où la jouissance du corps, qui serait devenue jouissance de l’Autre, serait phallicisée en passant sous l’ordre de la castration: φ(x)3.
Pour terminer je voudrais revenir sur cette phrase concernant l’analyste qui « en corps installe l’objet a à la place du semblant ». On pourrait se demander si à partir d’un corps à corps, et on a vu tout ce qui se déroulerait à partir du corps de l’analysant, l’analyste ne travaillerait pas aussi à partir de la jouissance de son corps, qui a justement été prise dans autre chose, qui est devenu le désir de l’analyste avec son x supportant un manque, qui ferait entrer la jouissance du corps de l’analysant dans un au-delà où le manque deviendrait cause à son tour ?
1Transcription réalisée par Sylvie Levy, à partir de l'enregistrement d'une communication réalisée dans le cadre du séminaire de Jean-Richard Freymann 2013-2014: « l'oeuvre de Jacques Lacan aujourd'hui – Approche clinique et épistémologique – Evolution des concepts lacaniens dans le « Savoir du psychanalyste » et dans « … ou pire »), mardi 15 avril 2014, Clinique Sainte-Barbe ( Strasbourg).
2« La première opération (Bejahung-Ausstossung) (…) première que logiquement et non historiquement (...) reste à refaire, (ce) partage du symbolique et du réel se décide à chaque instant, immédiatement suivie d'une deuxième opération n'intervenant plus cette fois que dans le seul symbolique, dénégation grâce à laquelle s'affirme l'existence. »
(G. Pommier, (1983), D'une logique de la psychose, Paris, Eres, p. 50.)
3Fonction Phi de (x) des formules de la sexuation de J. Lacan – Séminaire « … ou pire ».