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3 septembre 2012 1 03 /09 /septembre /2012 16:46


Nicolas JANEL (2012-2013)

 

Quand on cherche une définition de « l’hystérie » dans le dictionnaire, on trouve « névrose caractérisée par le polymorphisme de ses manifestations cliniques ».

L’hystérie, c’est donc une névrose. Alors qu’est-ce qu’une névrose ? Dans le champ de la psychopathologie, on sait que Freud distinguait trois grands types : névrose, psychose, perversions. Plus précisément, quand on distingue les névroses, les psychoses et les perversions, on fait référence aux psycho-névroses. Les psycho-névroses sont les névroses qui correspondent à des fonctionnements psychiques dont les mécanismes sont liés à l’histoire de l’individu, c’est-à-dire à ce dans quoi l’individu a été pris depuis sa naissance, et même avant, depuis qu’il est parlé. Il y en a trois grands types : l’hystérie donc, la névrose obsessionnelle et la névrose phobique.

A côté des psycho-névroses, dans le groupe des névroses, on a les « névroses actuelles » : neurasthénie, névrose d’angoisse. Dans ces « névroses actuelles », les symptômes proviennent directement de l’excitation sexuelle, mais sans intervention d’un mécanisme psychique en lien avec la structure prépondérante du sujet. Les névroses actuelles sont directement en lien avec la situation actuelle de la personne, c’est toute l’histoire du coïtus interruptus et des frustrations sexuelles de la vie actuelle d’une personne.

 

Fonctionnement général de la Névrose

Pour les névroses, donc pour l’hystérie, il s’agit « d’un mode de défense contre la castration, par fixation à un scénario œdipien ». Ça c’est déjà plus précis : « mode de défense contre la castration ». Au passage, on pourrait distinguer les perversions comme un déni de la castration, et les psychoses aussi comme un déni, mais cette fois-ci, un déni de la réalité.

Alors, comment la névrose se défend contre la castration ? Pour répondre à cette question, il faut déjà constater que pour se défendre contre la castration, c’est qu’il y a castration ! La castration, c’est-à-dire ? Brièvement, la castration, ça serait ce qui viendrait inscrire la dimension de la perte, du manque, du pas-tout, chez l’être humain. Quand le bébé est pris dans le langage, il y a nécessairement effet de perte liée à la prise dans le monde du sens, c’est-à-dire dans le registre symbolique.

Pour le faire comprendre, la phrase classique, c’est que le « mot est le meurtre de la chose ». C’est-à-dire que pour nommer une chose, vous devez d’abord l’avoir perdue, il faut que ça manque pour que ça prenne sens.

Donc, on est obligé de concevoir une perte première, mythique, qui vient avec la prise de l’enfant dans le monde du langage (c’est une spécificité humaine !).

Ensuite, pour inscrire cette perte première, c’est-à-dire pour que l’inscription dans le monde du sens, dans le monde symbolique, soit définitive, cela nécessité un après-coup, comme un deuxième temps, mais qui est plus un deuxième temps logique que chronologique. C’est-à-dire que cela peut se passer au même moment, les deux en un. Et ce deuxième temps logique, c’est celui de la castration, qui est donc une perte à nouveau, ce que formalise le complexe d’oedipen en corrélation avec le complexe de castration : le père vient signifier l’interdit de l’inceste de l’enfant avec sa mère. Le père, la fonction paternelle, vient inscrire par là, la soustraction de jouissance nécessaire à l’inscription définitive du manque.

Ceci permettra à l’enfant d’être un sujet désirant. A cet endroit, la phrase canonique de Lacan c’est : « le désir est métonymie (c’est-à-dire déplacement) du manque à être ». Et il y n’y a de sujet que désirant, donc que dans le manque. Tout ceci, cette « double perte » ou cette perte « deux en un », c’est là où on situe le refoulement primordial.

Le refoulement primordial, c’est la même chose que ce que je viens de dire, mais de manière plus précise, c’est « la mise à l’écart de la signification phallique ». On retombe sur ce qu’on vient de dire : ça correspond à une mise à l’écart définitive, primordiale, du phallus. Alors pourquoi mise à l’écart ? Et de quelle manière ? Et c’est quoi le phallus ?

Le phallus, comme on l’a déjà dit, c’est justement ce qui représenterait l’objet du désir de la mère, c’est ce qui est interdit par la castration, dans l’œdipe, lors du refoulement primordial qui met, une bonne fois pour toute, à l’écart, cette voie de la pleine jouissance génitale.

Cette mise à l’écart est donc un fait structural, lié au fait qu’effectivement, pour la mère, la voie de sa pleine jouissance n’est pas dirigée vers son enfant. En miroir ça ne le sera pas non plus pour l’enfant. Et tout cela est sensé être contenu dans la structure du discours maternel – ou plutôt à l'endroit de l'Autre1. Le père réel viendrait entériner tout cela, et viendrait encourager l’enfant à aller dans le sens de sa ( l'enfant) propre voie désirante.

Le tout se fait donc sous le prisme du génital ; prisme du génital, car c’est le phallus qui vient représenter l’objet perdu.

Dans le refoulement originaire, le phallus est un représentant pulsionnel, c’est-à-dire que c’est un représentant d’une pulsion ; c’est une pulsion, venant du réel du corps qui est lié à un représentant – ici, le phallus dans la triangulation oedipienne. C’est tout cet ensemble qui fait qu’il y a représentation. D’où le terme de Freud : « Vorstellungsrepräsentanz », traduit par représentant de la représentation.

Donc, au fond, ce qui est mis à l’écart, c’est la satisfaction d’une pulsion génitale, accrochée à ce qui la représente, c’est-à-dire le phallus dans l’œdipe. Je dis dans l’œdipe parce qu’on pourrait concevoir un autre objet interdit, non sexualisé, sans prisme du génital, c’est ce que défendent les auteurs des « nouvelles économies psychiques2 ».

Mais gardons nos classiques. Dans le refoulement primordial, il y a mise à l’écart et fixation du phallus, c’est-à-dire du représentant et de la pulsion qui va avec. Donc fixation du représentant – le phallus comme ce qui représenterait l’objet de la jouissance – et fixation de la pulsion qui lui est liée. Ensuite, cela va sexualiser et ordonner toutes les autres motions pulsionnelles.

Après le refoulement primordial, il y aura sexualisation de tous les autres objets cause du désir sous l’égide du phallus, sous l’ordre du prisme génital. C’est-à-dire que la fixation de cet objet imaginaire, le phallus, va venir exiger le refoulement de toutes les autres pulsions, en même temps qu’il les sexualise. Le phallus exige, dans un après coup logique, le refoulement proprement dit : refoulement secondaire.

Les pulsions non-génitales seront désormais rattachées à la jouissance qu’a représentée le phallus. Le phallus les sexualisera et les entérinera dans sa mise à l’écart. Il appellera au sacrifice de la jouissance, quelque soit l’objet.

C’est cela le refoulement proprement dit, et c’est cela le mécanisme principal qui caractérise la névrose : le refoulement.

La définition précise de ce refoulement proprement dit, refoulement secondaire, c’est « l’aspiration des incitations pulsionnelles par la signification phallique mise à l’écart ». Il y a donc refoulement des représentations incompatible avec la conscience, car en lien avec un désir interdit.

L’instance régulatrice, c’est le Ich (le Moi) et ces représentations interdites représentent, par exemple, la honte, le remords, une souffrance morale, c’est-à-dire ce qui provoque l’aversion du Moi. Le Moi n’en veut pas, parce que ce n’est pas bien d’avoir de telles idées. La représentation qui arrive au Moi s’y avère intolérable, et suscite une répulsion, répulsion contre l’idée prônée.

La représentation est rejetée hors du conscient et hors des souvenirs. En apparence, ça n’a plus de trace, le Moi en a une conscience mais il se comporte comme s’il n’en savait rien.

 

Voilà pour la névrose de manière générale. Mais, à partir de là, de ce fonctionnement général de la névrose, qu’est-ce qui pourrait être spécifique, plus particulièrement à l’hystérie ?

 

Fonctionnement de la Névrose hystérique.

Dans l’hystérie, c’est le moi-idéal qui serait l’instance qui refoule. Le moi-idéal est une partie du Moi différenciée. Tout se passerait comme si, pour l’amour de l’Autre, du grand Autre et des autres, les semblables, il fallait renoncer à son désir.

Dans l’hystérie, le Moi-idéal est l’instance préservée au premier chef. C’est l’instance qui commande, c’est l’instance qui décide tout pour être aimé. C’est comme si la castration de cet amour des autres et grand Autre, c’était de renoncer à son désir ; et se mettre au service d’un autre.

Dans cette logique, ce qui apparaît à la conscience chez l’hystérique, c’est ce qui est permis, ça se confond avec l’imaginaire. Puisque le Moi-idéal, c’est une instance imaginaire, c’est ce que j’imagine devoir être pour qu’on m’aime.

Par conséquent, chez l’hystérique, conscience et imaginaire se rejoignent. Il arrive à la conscience uniquement ce qui peut être toléré, accepté, comme image de soi-même. Tout le reste incompatible avec cette image, est refoulé. L’image du Moi-idéal est éprouvée comme devant être défendue, maintenue quel que soit le prix.

On comprend ici tout le théâtralisme, l'histrionisme, de l’hystérique. Mais alors, que devient ce qui a été refoulé ?

 

Devenir du refoulé dans l’hystérie

Il y a constitution d’un groupe psychique séparé. Il y a une coupure (Spaltung), une scission de groupe de représentations refoulées. A partir du refoulement primordial, il y a une coupure qui subsiste comme une écriture. La coupure se conserve. Ce qui est refoulé devient un autre lieu qui peut être à l’origine de différentes manifestations suite au retour du refoulé : symptôme (conversif chez l’hystérique), lapsus, rêve, discours latent dans le discours manifeste, double personnalité hystérique.

 

Le discours latent dans le discours manifeste : illustrations.

A l'image du palimpeste3, ce qui est refoulé vient infiltrer tous les éléments du moi normal. Il y a des rejetons de ce qui est refoulé dans toutes les productions de la vie normale. Et ces infiltrations se donnent à entendre : c’est toute la symptomatologie, comme le discours latent qui s’offre en décryptage.

L’hystérique parle à partir de ce lieu refoulé. Ça se donne à entendre comme étant l’expression d’un désir de reconnaissance de ce lieu. Lieu en souffrance qui cherche à être reconnue, car rien ne peut exister sans reconnaissance par l’autre, par le semblable, et du même coup par le grand Autre. Donc, c’est double. L'hystérique parle sous l’égide du moi-idéal ; et elle fait valoir, elle cherche à faire reconnaître ce « refoulé » qui la possède.

Le discours latente, comme le symptôme, fait offre à une interprétation.

 

Le symptôme

Le symptôme suit la même logique. A partir de cet autre lieu du refoulé, il va y avoir déplacement dans le corps, « conversion » dans le corps de ces représentations incompatibles avec la conscience. C’est le corps qui va rendre compte de cette vérité, c’est le corps qui va être infiltré par ce refoulé, selon ce mécanisme de « conversion » qui reste très énigmatique.

Le choix de la zone corporelle est illimité dans ses possibilités. D’où le polymorphisme des symptômes : on peut trouver des manifestations neurologiques (paralysies, troubles sensoriels, etc.), digestives, sexuelles.

Le choix de la zone corporelle peut se faire en fonction de l’investissement corporel préexistant (c’est-à-dire lieux de traumatismes réels anciens, sur-sollicitation d’une zone pour x raisons,...), et en fonction des propos qui viennent obstruer cette vérité. Donc, en fonction des propos ambiants, notamment en fonction des propos des maîtres, des maîtres de la médecine par exemple, qui viennent masquer cette vérité.

Le symptôme de conversion hystérique peut donc s’exprimer dans et par le corps selon une multitude de manières, c’est-à-dire selon un alphabet corporel assez large mais somme toute limité.

Et comme pour les lapsus, les rêves, les actes manqués, c’est-à-dire les formations de l’inconscient issues d’un retour du refoulé, c’est toujours singulier, c’est-à-dire que de la même manière qu’il n’y a pas de clef des songes, il n’y a pas de symptôme qui traduirait de façon certaine et générale une vérité qui serait la même pour tout le monde.

 

L’hystérique se confronte à ce qui fait autorité, par exemple le maître, le chef, le père, le médecin de manière double.

Car, pour reprendre ce que je viens de dire sur le symptôme, il y a expression, dans le corps et par le corps, de la vérité désirante, refoulée dans l’inconscient en fonction de ce qui vient l’obstruer. Mais ce qui vient l’obstruer n’est, en même temps, pas uniquement lié au hasard.

C’est presque choisi parce que justement, ça vient obstruer cette vérité désirante. C’est comme une remise en scène du refoulement primordial : à la fois le chef, le médecin, le maître, bride cette vérité désirante par tout son savoir médical sur le corps par exemple ; et à la fois, le fait qu’il fasse écho à ce qui est venu faire règle, à l’interdit qui a permis de structurer le désir, est essentiel.

C’est-à-dire qu’avec le refoulement primordial, on l’a vu, il y a inscription d’une perte, liée à la prise dans le langage, le tout centré par l’instance phallique. L’inscription définitive de cette perte permet qu’il y ait du désir, et qu’il y ait du sujet. C’est à partir de là que l’on peut dire qu’il y a du sujet désirant; à partir d’une impossibilité primaire inscrite par ce qui a marqué l’interdit de l’inceste, la fonction paternelle.

C’est la fonction paternelle qui a fait que l’enfant n’est pas tout, n’est pas le phallus de la mère. Et pour l’hystérique, ce qui représente cette fonction paternelle , c’est le désir du père.

C’est le désir du père qui soutient tout le reste, c’est-à-dire qui soutient l’hystérique dans sa condition de sujet désirant. Le désir du père est donc nécessaire. L’hystérique va tout mettre en œuvre pour le soutenir en faisant de sa propre condition le soutient du désir du père, comme à l’envers. « Je soutiens ce que je suppose être le désir du père, en fonction du Moi-idéal. Mais, en même temps, ça ne me permet pas de désirer complètement, puisque je sacrifie l’exercice propre de mon désir pour le soutenir lui ».

L’hystérique se retrouve dans l’entre-deux. Elle se retrouve dans un paradoxe. C’est « l’intrigue hystérique » : si elle veut pousser plus loin son désir, elle invite son partenaire (maître, chef, époux choisi comme tel) au renoncement phallique (puisque dans tout ce mélange, c’est finalement lui qui a le phallus). Elle doit le faire tomber, chuter de sa hauteur phallique. En même temps, il est nécessaire que le partenaire résiste, à défaut de quoi elle perdrait tout repère, de ne plus être soutenue par lui.

 

Remise en scène du paradoxe dans la crise hystérique.

Il y a donc quelque chose qui cloche chez l’hystérique dans ce qu’elle va remettre en scène dans les scénarios. Par exemple, dans la crise hystérique, elle fait en sorte que ça cloche pour le maître, comme avec Charcot et ses théories, en se « calant » au départ sur sa théorie, pour au fond faire entendre ce qui cloche dans cette théorie.

 

Pareil pour la mascarade et la séduction, c'est comme dans la crise hystérique : du « deux en un ». Mais cela peut aussi s’atténuer dans le temps, avec des phases de mascarade, de séduction, de « tout bien pour satisfaire l’autre4 » ; puis des phases quasi-dépressive de retombé, de mise à côté, de tentative de désirer sans soutenir le désir du père. Mais où, du coup, ça ne désire plus du tout parce que le désir était soutenu uniquement par le désir du père. Aujourd'hui, le risque est de stigmatiser ces alternances de phases dans le diagnostique de « maladie bipolaire », ce qui aurait pour conséquence de fixer toute possibilité de mobilisation ultérieure.

 

 

1représenté souvent par la mère dans un souci de simplification.

2Par exemple Charles Melman propose l'idée d'une désexualisation de l'inconscient du fait de la perte de la conjonction

entre ce que Lacan nomme le Nom du père et la « chute des éléments de la chaîne inhérente à la structure elle même »

(perte inhérente à la prise dans le langage). N'étant plus à l'origine d'une insatisfaction, le père ne viendrait plus

sexualiser l'impossible. Il en résulterait une possibilité de manque, mais non sexualisé, non phallicisé. (voir C. Melman

(2002), L’homme sans gravité, édition Denoël, 2002, p. 166-168).

 

3Manuscrit écrit dans un parchemin préalablement utilisé. Avec certaines techniques modernes de restauration, on arrive

à révéler le texte de fond.


4Dans la mascarade, le « tout bien pour soutenir le père » peut consister à faire figure d’être le porteur phallique, comme

réponse au fantasme de l’autre qui chercherait le phallus.

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