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17 décembre 2013 2 17 /12 /décembre /2013 14:02

 

Chirurgiens plasticiens et psychanalystes se sont réunis, pour un deuxième colloque1, le vendredi 28 juin 2013, dans l’amphithéâtre Frank de la faculté dentaire, au sein des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Le docteur Vladimir Mitz, sommité en chirurgie esthétique, a spécialement été invité pour l’occasion. Le thème, proposé par madame le professeur Astrid Wilk2et par madame la psychologue Nadine Fialon3 s’intitulait « que veut la femme ? », sous entendu en chirurgie esthétique. L’argument était le suivant :


 

« Les chirurgiens plasticiens témoignent d’une nette prédominance féminine dans les demandes qui leur sont formulées. Pourquoi ? Quel lien entre leur pratique et la question énigmatique de la féminité. Avec ce thème, nous reprenons, dans le champs de la chirurgie esthétique, la question posée par Freud en 1932 : « que veulent les femmes4? »

Sur le plan manifeste, le chirurgien précisera les demandes rencontrées dans la pratique ainsi que les critères retenus pour les indications chirurgicales. Au psychanalyste d’en décoller le plan latent révélateur des enjeux inconscients qui soutiennent ces demandes. Les cas de chirurgie itérative comme ceux de rupture psychologique invitent à la prudence.

Cette clinique de la chirurgie esthétique nous renseigne sur l’image du corps de la femme, le narcissisme féminin et sur le rapport essentiel de celle-ci au semblant, au corps réel et la castration. De même, le rapport au maître constitutif de ce lien permettra de repérer  le rôle des fantasmes masculins  dans le lien de la femme avec son image.

Alors de la chirurgie esthétique les femmes en obtiennent quelque chose, mais est-ce ce qu’elles voudraient ? »


 

 

1La première rencontre avait eu lieu au sein de la clinique de chirurgie B des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (H.U.S), le 06 décembre 2007 - association CEPLASEST et FEDEPSY, «  Aspect psychologique de la chirurgie esthétique ».

2Professeur Astrid Wilk, chirurgie plastique et maxillo-faciale, Strasbourg

3Psychologue clinicienne du service de chirurgie maxillo-faciale des H.U.S.

4Cité dans « La vie et l’œuvre de Sigmund Freud » 1901-1919 – Ernest Jones ( PUF 1979, p. 445)

 

 

Intervention de Nicolas JANEL:

 

 

« Faîtes-moi un nouveau nez ! », « J’aimerais une modification mammaire »... Ces deux demandes sont celles qui sont le plus fréquemment adressées aux chirurgiens plasticiens. Celles-ci conduisent à un questionnement relatif au plan manifeste et au plan latent de la demande d’un acte de chirurgie plastique. De là, il s’agit de savoir si au-delà de l’acte chirurgical, ce n’est pas autre chose qui est demandé. À partir de ces demandes concrètes faites aux chirurgiens, je voudrais essayer de montrer comment parfois, au fond, ce n’est pas un acte chirurgical qui est demandé.

Pour reprendre l’exemple de la rhinoplastie, on peut se demander pourquoi et comment, quelqu’un qui vient demander un « nouveau nez », ne désirerait pas cette modification de la forme de son nez, mais désirerait peut-être autre chose. Ce désir peut être celui d’un enfant par exemple, désir qui vient se signifier au chirurgien, l’histoire restant alors bien celle d’un nouveau nez – né.

Cet exemple nous fait presque tomber dans le cliché de la psychanalyse. Le savoir psychanalytique a tellement infiltré notre culture qu’il nous paraît trop gros, trop évident, au point d’en être privé d’une véritable légitimité. Alors que ça peut pourtant être vrai!

Pour expliquer ce rapport entre plan latent et manifeste de la demande en chirurgie plastique, je souhaiterais d’abord revenir sur quelques étapes du chemin dégagé par la psychanalyse.

 

« Tout n’est pas conscient »

En rappelant que « tout n’est pas conscient », la première étape de ce cheminement pose l’existence de l’inconscient. « Tout n’est pas conscient » et bien au contraire, l’essentiel des phénomènes psychiques étant inconscient, ce qui est conscient constitue la plus petite partie de la vie psychique. Et enfin, ce qui est conscient est dépendant de l’inconscient. Pourtant, même quand on en est averti, il reste assez difficile de s’imaginer que l’on ne sait absolument rien de l’essentiel de notre vie psychique. Cette difficulté à distinguer ce qui relève du conscient et de l’inconscient se retrouve dans tout discours, y compris dans celui adressé aux chirurgiens.

Deux plans se différencient dans un discours ou une demande : celui du discours manifeste qui s’apparenterait à ce qui est conscient, et celui du discours latent, lequel relèverait de ce qui est inconscient. L’exemple du palimpseste est souvent donné pour faire comprendre l’existence de ces deux plans. Le palimpseste est un parchemin qui a déjà été utilisé et dont les inscriptions ont été effacées pour y écrire par-dessus, à nouveau. On a alors une écriture bien visible, sur un fond d’écriture quasiment effacé. Tout le jeu consiste alors à chercher ce qui a été écrit la première fois. On retrouve cela aussi en peinture quand, pour certains tableaux, une nouvelle version vient recouvrir l’ancienne version, de façon à économiser une toile par exemple.

Le plan du discours manifeste est apparent, conscient, il est ce qui est dit, c’est l’énoncé, tandis que le plan du discours latent apparaît en filigrane. Il est inconscient, il correspond au dire, à l’énonciation et en cela, il est ce qui reste à décrypter. Or, à l’instar de l’analyse des rêves pour laquelle n’existe aucune clef des songes, aucun dictionnaire ne permet de décrypter le plan du discours latent. C'est toujours singulier, en lien avec l’histoire propre du sujet. Autrement dit, cette singularité empêche toute généralisation qui consisterait, si je reprends l’exemple de la rhinoplastie cité précédemment, à dire une fois pour toutes « elle demande un nouveau nez, c’est qu’elle veut un enfant », ou encore « elle demande un nouveau nez, cette demande est en lien avec un appendice, donc avec le pénis, et donc en lien avec son père »...

Pour autant, même si cela peut être vrai, il est toujours nécessaire de repasser par la vérité singulière du sujet et donc, par ce qu’il en dit lui-même. C’est au sujet de nous dire sa vérité, et la confirmation de cette vérité se retrouve dans l’après-coup des séances. D’où, la nécessité parfois, de se donner un temps nécessaire pour comprendre avant d’accéder à la demande de chirurgie.

Car, en l’absence de ce temps pour comprendre, que risque-t-on ? Nadine Fiallon abordera les aspects relatifs à cette question par la suite mais on peut d’ores et déjà dire qu’un risque peut être celui de fixer une problématique psychique sans permettre de mobiliser autrement les choses ultérieurement. On peut également risquer de déplacer le problème dans une succession de demandes chirurgicales sans fin, avec tous les risques iatrogènes qui y sont associés.

Néanmoins, il faut tout de même le dire, l’acte chirurgical peut parfois avoir une véritable valeur psychothérapique en soi, comme l’effacement d’un symptôme qui permet à certains, qui n’en peuvent pas davantage sur le plan de la parole, d'aller mieux.

 

Arrivé à ce niveau du raisonnement, j’ai essentiellement parlé de la névrose. Se pose alors la question de ce qui est en œuvre pour la psychose, qui est un autre problème. Une des questions posée par la psychose est de savoir si la demande du patient est délirante, et par suite, si l’acte chirurgical ne s’accompagnerait pas du risque d’entretenir le délire du patient. En effet, en opérant, le chirurgien ne va-t-il pas alimenter le délire de ce patient ? Nadine Fiallon développera cette question ultérieurement, mais on peut d’ores et déjà affirmer que généralement, une telle situation ne se termine pas bien, à fortiori chez le paranoïaque. Ceci amène une question importante à débattre : « Est-ce que la psychose est une contre-indication absolue à l’opération en chirurgie esthétique ? ».

Passé cette digression, je souhaiterais approfondir davantage l’explication amorcée concernant les plans manifeste et latent du discours. Comment explique-t-on l’existence de ces deux plans du discours ? Passer par cette explication sera utile dans la mesure où cela me permettra de proposer une réponse à la question que nous nous posons, à savoir : que veulent les femmes qui demandent une opération de chirurgie plastique ?

 

Castration et scénario Œdipien

Le névrosé rencontre le phénomène de la castration. Il doit ensuite se débrouiller avec, c'est ce qui le rend sujet. La castration fait de lui un sujet désirant. Une courte définition de la névrose c’est justement ça : «défense contre la castration par fixation à un scenario œdipien ».

Pour le dire brièvement, la castration est ce qui viendrait inscrire la dimension de la perte, du manque, du « pas-tout » chez l’être humain.

Quand le petit homme se trouve pris dans le langage, il y a nécessairement un effet de perte liée à la prise dans le monde du sens, autrement dit, dans le registre symbolique. Pour faire comprendre cet effet de perte lié à la prise dans le registre symbolique, on se réfère souvent à la phrase classique « le mot est le meurtre de la chose1», c’est-à-dire que pour nommer une chose on doit d’abord l’avoir perdue, ce qui revient à dire qu’il faut que ça manque pour que ça puisse prendre sens. Et il en est de même pour l’être humain dans sa constitution, il lui faut du manque pour qu’il soit sujet. Donc, et c’est une spécificité humaine, on est obligé de concevoir une perte première, mythique, qui vient avec la prise de l’enfant dans le monde du langage. Ensuite, pour que cette perte première s’inscrive définitivement, c'est-à-dire pour que l'inscription dans le monde du sens, dans le monde symbolique soit définitive, cela nécessite un après-coup, comme un deuxième temps pour enfoncer le clou. Toutefois, ce deuxième temps est davantage logique que chronologique, puisque le premier et le deuxième temps peuvent survenir simultanément, comme effets de structure.

Et en tant que perte à nouveau, ce deuxième temps logique de la castration est formalisé par le complexe d’Œdipe en corrélation avec le complexe de castration : le père vient signifier l’interdit d’inceste de l’enfant avec sa mère. Ce faisant, la fonction paternelle vient inscrire la soustraction de jouissance nécessaire à l’inscription définitive du manque. Ceci permettra à l’enfant d’être un sujet désirant. A cet endroit, Lacan le rappelle par sa phrase canonique « le désir est métonymie du manque à être2». C’est-à-dire qu’une fois qu’on est dans le manque, il y a comme une forme de succession, de métonymie, une quête désirante tout au long de notre existence. Il pose par là le désir comme déplacement du manque à être. En cela, il n’y a de sujet que désirant, donc uniquement dans le manque, et il n’y a de sujet que dans un ordre placé sous l’égide de la castration.

 

Discours latent, lieu du refoulé

Une fois qu'il y a cet interdit inscrit, une fois que le refoulement primordial nous interdit de satisfaire toutes nos pulsions, comment se débrouille-t-on ? Le mécanisme prépondérant qui va fonctionner, c'est le refoulement proprement dit. Le refoulement va consister en une mise à l'écart des représentations incompatibles avec la conscience, incompatibles car en lien avec un désir interdit, justement par la castration. Ces représentations sont alors rejetées hors du conscient et hors des souvenirs. Elles sont refoulées. Il se crée ainsi, comme un lieu de représentations refoulées, séparées, clivées du conscient. Et c’est à partir de ce lieu que peuvent se produire différentes manifestations, suite au retour du refoulé. C’est-à-dire que ce qui est refoulé va, à son tour, tenter de ressortir de différentes manières, comme pour être reconnues comme vérités désirantes : par les symptômes, les lapsus, les rêves, le discours latent. Pour le discours latent, c'est donc ça : ce qui est refoulé, des « motions de désir », viennent infiltrer les éléments du discours conscient.

Avec le lapsus, on le comprend bien. Je vous donne un exemple, qu’on retrouve dans le texte de Freud : « psychopathologie de la vie quotidienne » : « Lorsqu’un monsieur, s’entretenant avec une dame dont il a admiré le décolleté lui demande “Avez-vous vu l’exposition de la Maison Wertheim ? Elle est très bien décolletée !”3. » Nous savons qu’il faut y entendre un lapsus : le désir de Monsieur, qui a admiré le décolleté de madame, s'exprime ici ! Et ce qui permet au désir de se dire, sans que Monsieur lui-même le perçoive, se fait par le double sens du mot exposition, par son équivocité signifiante. On comprend avec cet exemple caricatural, que, dans ce qui est dit, on retrouve des indices d’un désir qui cherche à se dire, et qui transparaît dans le discours effectif. On comprend alors la phrase de Lacan : « qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend4». Cela permet de comprendre des niveaux différents de la demande adressée au chirurgien : un niveau de la demande en tant qu’il traduit un besoin manifeste, par exemple un nouveau nez comme nouvelle forme du nez; et un autre niveau de la demande en temps qu’elle véhicule un désir qui cherche à se faire entendre, par exemple un nouveau né comme un enfant chez une femme qui, par exemple pour des raisons biologiques, n'arrive pas à en avoir... à décrypter au cas par cas.

 

Maintenant que j’ai montré comment un sujet devient « normosé », c’est-à-dire névrosé, comment peut-on expliquer la prédominance des femmes, « névrosés au féminin », dans les demandes en chirurgie esthétique ?

Je vais faire une proposition de réponse élaborée essentiellement à partir de là où en était resté Freud concernant la sexualité feminine. Mais il serait nécessaire de poursuivre la reflexion avec les derniers apports de Lacan qui ne semble « pastout5» aller dans le même sens.

 

Désir de la femme, femme objet du désir de l’homme

 

Pour que la femme soit un sujet désirant, il faut qu’elle soit placée aussi sous l’ordre de la castration. Mais cela se formaliserait dans l’Œdipe féminin d’une manière différente, comme le propose Freud dans son étude Sur la sexualité féminine6.

Rappelons nous, pour le garçon, les modalités d’interaction dans la formalisation œdipienne sont que le père vient signifier au fils l’interdit d’inceste avec sa mère, l’issue étant que le fils s’identifie au père pour jouir de sa propre femme plus tard, quand il sera grand.

Pour la fille, dans ce que l’on peut appeler l’ « Œdipe inversé », ça ne se ferait pas de façon symétrique à ce qu’il se passe pour le garçon. Ce qui se formaliserait pour la fille, ça serait une rivalité de la fille contre la mère à l’égard du père. La fille entrerait dans le complexe d’Œdipe sans avoir le phallus, elle y entrerait en tant « qu’elle ne l’a pas comme appartenance ». Elle trouverait alors le pénis réel là où il est, dans celui qui peut donner l’enfant, dans le père qui se fait préférer à la mère. L’entrée de la fille dans l’Œdipe se ferait par un effet de « glissement de phallus ». En renonçant au phallus qu’elle n’a pas, elle pourrait l’avoir comme don du père. Il y aurait glissement d’une privation réelle à un manque symbolique, c’est ce qui conditionnerait le penisneid (« envie de penis »), avec le désir d’enfant du père qui en découlerait symboliquement.

La fille doit alors elle-même se faire préférer à la mère. Et on voit par là que pour être désirante, pour être soutenue dans son désir, elle doit se faire préférer par son père. On voit là que ce qui structure la relation œdipienne chez la fille « c’est qu’elle doit se proposer, s’accepter elle-même, comme élément du cycle des échanges » comme le dit Lacan. En tant que femme, elle se fait masque d’être le phallus, sur le fond qu’elle ne l’a pas.Ce phallus qu’elle n’a pas, elle l’est symboliquement pour autant qu’elle est l’objet du désir du père et plus tard, de l’homme.

Dans cette logique, pour être sujet, la femme soutient son désir inconscient par le fait de se faire l’objet du désir de l’homme. Par exemple, en faisant de ses attributs féminins les « signes de la toute puissance de l’homme » comme le dit encore Lacan. C’est ça la mascarade féminine7dont parle la psychanalyste Joan Rivière. On voit bien comment la mascarade féminine vient répondre au fantasme masculin, où la possession de la femme par l’homme vient faire signe de puissance. La femme devient ce dont l’homme jouit, et c’est ce qui soutient son propre désir à elle, sa propre qualité de sujet.

 

On pourrait donc expliquer ainsi l’importance de l’utilisation du maquillage et du parfum chez la femme, et la nette prédominance féminine des demandes en chirurgie esthétique. Et finalement, c’est peut-être cela que l’on retrouve mis en scène dans le mythe de pygmalion, ou sur le tableau de Magritte, La tentation de l’impossible, qui illustre l’affiche de ce colloque.

Seulement, et il faudrait le developper, le parlêtre et particulièrement La femme, ne fonctionne pas uniquement dans cette logique d'unicité de la libido freudienne, ou d'univérsalité de la jouissance phallique, pour le dire en terme lacanien. Lacan propose un autre type de jouissance qu'il place justement sous la banière de La femme, qu'il qualifie de « pas toute » dans la jouissance phallique.

1

Ȁ J. Lacan (1966), « Discours de Rome », dans Les Écrits, Paris, Seuil, 2008.

 

2

Ȁ J. Lacan (1958), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », dans Ecrits 2, Paris, Seuil, 1999 (1966). 

 

3

Ȁ S. Freud (1901), La psychopathologie de la vie quotidienne sur l'oubli, le lapsus, le geste manqué, la superstition et l'erreur, Paris, Gallimard, 1997.

 

4

Ȁ J. Lacan (1972), L'étourdit, dans Scilicet, 1973, n° 4, pp. 5-52.

 

5Néologisme faisant référence à la non unicité de la jouissance phallique chez le parlêtre. Lacan propose un autre type de jouissance ( « jouissance autre ») qu'il place sous la banière de La femme, « pas toute » dans la jouissance phallique (cf. séminaire XIX « ...ou pire (1971-1972)).

6

Ȁ S. Freud (1969), « Sur la sexualité féminine », dans La Vie sexuelle, Paris, PUF.

 

7J. Rivière, (1929). « La féminité en tant que mascarade », dans Féminité Mascarade, Études psychanalytiques réunies par M.-C. Hamon, Paris, Le Seuil, « Champ freudien », pp. 197-21, 1994.

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commentaires

D
J'admire cette analyse et sa profondeur. La relation d'abord sémantique et sonore entre le nez et le nouveau né prend un relief particulier avec cette interrogation sur le contenu latent de la<br /> demande de prise en charge en chirurgie plastique.
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