Bonjour à toutes et à tous, nous sommes contents de pouvoir vous retrouver au moins par vidéoconférenceaprès tout ce « passage épidémique ». Nous avons dû annuler plusieurs séances, et comme il y avait un certain fil dans notre programme, ça n’aurait pas été cohérent de reprendre la séance de juin sans avoir pu développer les autres concepts au préalable. Ça sera de plus aujourd’hui la dernière séance pour cette année. Nous vous proposerons donc une poursuite à la rentrée de ce qui avait été lancé. Pour aujourd’hui, je vais plutôt vous proposer de reprendre les questions du transfert analytique que je mettrai en perspective par rapport à l’actualité, notamment par rapport aux modifications de pratiques qu’ont apportées les conditions de confinement et de distanciation physique.
Au cabinet en ville, vous savez très certainement que nombre de consultations se sont poursuivies par téléconsultation, c’est à dire soit par téléphone, soit par vidéo, via des logiciels dédiés utilisables à partir d’applications... qu’on appelle des « appli » dans le langage courant. L’apport de ces nouvelles techniques, ce qu’elles ouvrent comme nouveaux dispositifs, nous imposent de questionner nos concepts habituels. Ce qui est assez intéressant. Puisque vous savez que quand Freud faisait ses conférences d’introduction à la psychanalyse, il s’agissait pour lui de faire connaître sa nouvelle thérapie aux personnes susceptibles de s’en saisir, et cela à partir d’élaborations ancrées dans l’actualité de son époque. Son travail se trouvait dans une sorte de conflictualité constructive avec les scientifiques et penseurs contemporains. Même si les choses évoluent en permanence, c’est donc intéressant pour nous, qui, comme en écho et avec toute notre modestie, tentons de re-introduire la psychanalyse, puisque nous sommes actuellement particulièrement convoqués par le sort à ré-élaborer nos concepts. C’est tout un travail. Il y a reprendre ce qui a déjà été développé, et ensuite le questionner, le mettre en perspective, l’articuler à la nouveauté. C’est intéressant pour la psychanalyse qui est souvent taxée de désuète. En vrai, la psychanalyse ne s’est pas arrêtée après Freud et les concepts ont toujours continué d’évoluer. Mais les modifications des dispositifs liées aux conséquences de l’épidémie ne sont-elles pas particulièrement propices à une certaine fécondité théorique?
Je voulais vous proposer une amorce avec le transfert , d’où mon titre un peu provocateur: « le transfert par appli? ».Je vais en fait surtout reprendre quelques bases concernant le transfert analytique2. Et je n’ouvrirai que quelques questions par rapport aux nouveaux dispositifs.
La constitution de l'amour
En quoi le fait de parler à quelqu’un qui est sensé être porteur d’un certain savoir est-il cause d’un amour dit de transfert? Et en quoi consiste cet amour?
Je vais commencer par répondre en proposant ce que j'avais travaillé pour une journée clinique de la FEDEPSY sur les entretiens préliminaires3. Si on sait inviter quelqu’un à prendre la parole, le patient qui se met à parler, constaterait qu’il en dit plus long qu’il n’en sait quand il parle. Une déduction s’opérerait : en disant « ce qui passe par la tête », en disant « n’importe quoi », que cela soit énoncé avec la règle fondamentale ou que ça reste en arrière plan, le patient ferait le constat que ce « n’importe quoi » se règle, sans pour autant qu’il le décide, comme en écho à une part de lui-même qu’il méconnaît. Ainsi, celui qui s’engage dans l’analyse, semblerait déduire que puisqu’il y a un savoir qui lui échappe, un sujet serait supposable à ce savoir. C’est ce qu’il déposerait sur l’analyste qui prendrait place dans la réalité de son inconscient en apparaissant par exemple dans ses rêves. L’analyste qui serait mis à la place du grand-Autre - c’est à dire « lieux de constitution du sujet dans le langage » - serait également affublé de l’instance que Lacan a appelé le « Sujet Supposé Savoir ». C’est à dire que l’analyste serait supposé détenir le savoir inconscient du sujet. Savoir qui permettrait à l'analysant d’être enfin lui même, d'atteindre une certaine complétude. Ce savoir serait un savoir qui se rattacherait par là à la jouissance de celui qui parle. C’est pourquoi l’analyste qui serait supposé avoir un tel savoir serait aimé, comme si l’amour venait au défaut de la jouissance. Par conséquent, parce qu’il y aurait une question initiale sur la jouissance, jouissance dont un savoir serait supposé répondre, le résultat de la prise de parole serait l’amour de transfert4.
Dans son séminaire de 1960-61 sur le transfert, où il n'y a pas encore le concept de la jouissance, Lacan explique la constitution de l’amour comme une substitution de place entre celui qui aime (Erastes) et celui qui est aimé (Eromenos) . Quand vous tendez la main vers le fruit tant désiré, et qu’au moment de saisir ce fruit, surgit de ce fruit une main qui saisit la vôtre5... Il y a substitution, renversement des places. Lacan présente cela comme une métaphore6qui produit une nouvelle signification qui serait l’amour. Le dispositif analytique, comme d’autres dispositifs d’ailleurs, induirait cela. L’amant, c’est à dire celui qui demande, qui va vers l’analyste pour telle ou telle raison, revendiquerait le droit d’être aimé et ce, en se faisant l’aimable qu'il aime... Cela repose sur l'amour narcissique. Il y a là, la question du soi-même, que vous pouvez écrire comme vous voulez ( « soi m'aime »).
On retrouvait déjà cela tout à l'heure avec l'idée que l'amour vient en défaut de la jouissance, puisque la jouissance dont il s'agit reposerait sur une certaine complétude du sujet. Or, il n'y a de sujet que manquant. Cela serait plutôt le moi avec l'illusion de la complétude narcissique qui ferait croire à une jouissance possible. Comme la complétude est justement ce qui manque, à partir de ce qui pourrait faire défaut chez celui qui vient demander quelque chose, on comprend par là le célèbre aphorisme de Lacan : « l'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas... à quelqu'un qui n'en veut pas ». Autrement-dit, on viendrait demander une complétude sans l'avoir, en tentant de se faire complet auprès d'un autre qui pourrait justement nous apporter cette complétude. On s'identifierait aux objets d'amour supposés de l'Autre et on engluerait notre désir dedans. Tout cela sur un fond de supposition que cet Autre serait d'une certaine manière, quant à lui, bien complet, idéal. Et cela à partir de certains de ses traits7, des traits qui nous auront attirés chez lui. Or, cet Autre n'a pas du tout la même idée de la complétude et ne se place pas du tout dans le même registre d'idéaux. Il ne s’intéresse tout simplement pas à cette complétude là. Ce qui intéressera plutôt l'analyste, ça sera la dimension du manque qui cause le désir.
Vous voyez que l'analyste est susceptible de porter déjà trois casquettes, c'est à dire qu'il va pouvoir venir représenter trois instances qui sont en articulation dans la tête de l'analysant :
- le grand-Autre qui représente le lieu du langage au sein duquel on se constitue ;
- l'idéal du moi qui est l'instance symbolique représentant l'idéal ;
- et le Sujet Supposé Savoir qui serait, comme son nom l'indique, supposé savoir notre vérité inconsciente.
Un autre phénomène participe également de ce mouvement : il s'agit du dépôt d'objet sur l'analyste.
Le dépôt sur l’analyste
Lacan développe le concept d'agalma dans le séminaire sur le transfert, sorte d'objet idéalisé, prémisse dans la théorisation de l'« objet a » cause du désir qui serait encore collé à la dimension de l'idéal. L'analyste se soutiendrait du dépôt de l'agalma en lui, ce qui provoquerait son idéalisation de la part de l'analysant. Mais ce que l'analysant demanderait, l'agalma donc, il ne se douterait pas qu'il se serait déjà constitué lui-même comme cet agalma dans le transfert. Il s'identifierait à cet objet d'amour. La tromperie sur soi se mettrait ainsi en acte à travers une tromperie dans la personne de l’analyste, au sein de laquelle on déposerait un objet idéalisé, objet idéalisé fusionné avec la question du désir, objet idéalisé qu'on confondrait avec ce qui cause notre désir.
De l'agalma et de sa dimension idéalisante, se décolle ensuite chez Lacan le concept d' « objet a » cause du désir, sorte d'objet partiel dont la perte causerait le manqueà l'origine du mouvement désirant de la chaine signifiante.Ce qui se décolle là n'est plus dans le registre de l'amour. On n'est plus dans le registre du Moi et de l'idéal du Moi. Il apparaît la dimension désirante du transfert,en deçà de la demande d'amour.
Les choses s'éclairent alors avec cette partsur la question de dépôt sur l'analyste. Lacan précise que l’analyste :« en corps,installe l’ « objet a » à la place du semblant ».Cela comme si l' « objet a » de l'analysant s’extériorisait et correspondait à un morceau de corps de l'analyste. L'analyste aurait à manier cela sans ignorer la dimension de semblant de ce montage, comme si la structure de l'analysant avait pris le corps de l'analyste dans son architecture. Le caractère de semblant étant utilisé comme seul moyen pour l'analyste de faire aller l'analysant vers sa vérité désirante.
Après ce dépôt, l'analysant aurait à passer par différentes étapes, notamment à opérer une différentiation entre cet « objet a » cause de son désir et l'instance de l'idéal du moi qui l'englue. Ce qui le conduirait, à la fin de la cure, à reconnaître l’ « objet a » cause du désir, cette fois-ci « nettoyé » ou « décollé » des leurres du moi et de ses idéaux. Ce qui lui permettrait de ne plus « céder sur son désir », et de vivre dans une liberté désirante assumée, non étouffée par la dimension du « Bien » sous toutes ses formes : bien faire, être bien vu(e), être un bon ou une bonne je ne sais quoi... Reconnaître l' « objet a » cause du désir va aussi avec le fait d'abandonner la dimension de jouissance qu'on croyait qu'il portait. Dimension de jouissance qui est au contraire, au début de la cure, un des enjeux principaux des entretiens préliminaires.
Si la fin de la cure résume une perte de jouissance, il est effectivement à noter qu'un des enjeux principaux des entretiens préliminaires serait plutôt de permettre une accroche à partir de la jouissance des corps.Lacan qualifie ainsi le début des entretiens préliminaires de « jouissance de corps à corps». Une fois cela effectué, l’analyste peut procurer ensuite un supplément de signifiant,grâce à l’interprétation notamment,sur la jouissance8du corps.Lacan précise à ce titre que « le corps est le fondement du discours». Puis, il y aurait « surdétermination signifiante».Ainsi, quand la jouissance émergerait, ellese trouverait prise et organisée par le discoursque le sujet devrait s’approprier. Autrement dit, ce qui jouit dans le corps se transvaserait dans la parole.Je cite Lacan : « Ce qui parle est ce qui jouit de soi comme corps ». Il y aurait donc premièrement à accrocher cette dimension de jouissance du corps, pour permettre ensuite de mobiliser le passage vers la question du manque cause du désir de l'être parlant - car telle est sa structure, pour qu'au final soit lâchée, perdue la dimension de jouissance. Finalement,seule la dimension symbolique de manque contenue dans l'« objet a » serait récupérée. L' « arrachement » de sa dimension de jouissance9renverrait le sujet face à sa béance structurale en le faisant passer par une certaine « position dépressive ».
Je fais une petite parenthèse ici par rapport à l'actualité : les questions d'accroche sur la jouissance que je viens d'évoquer ne renvoient-elles pas de manière sous-jacente aux pulsions ? Les pulsions comme base du transfert ? Une prise de parole dans le transfert mettrait ainsi en jeu les corps à travers les pulsions... les pulsions qui sont en deçà de la jouissance. Mais alors, question d'actualité : les pulsions invoquantes (c'est à dire la voix) et le pulsions scopiques (c'est à dire la vue),à travers les fibres optiques, les ondes wifi et les smart-phones ou les ordinateurs, feraient-elles l'affaire pour un transfert par « appli » ?Tout cela serait bien sûr à développer,car que dire d'une analyse qui se ferait à distance par WhatsApp, ou Skype, sans corps à corps ?Et une fois l'accroche sur la jouissance pulsionnelle permise, pourrait-on se passer du corps une fois le processus lancé ? Voilà des questions très actuelles. Il faudrait bien sûr les développer. Mais je garde ça pour une prochaine fois... Pour ce soir, je vais plutôt continuer sur la question du transfert.
Si on prend en compte maintenant les trois instances précédemment évoquées, ainsi que le dépôt d' « objet a » sur l'analyste, pourque le sujet advienne, il aura à :
instaurer de la séparationà partir de l'aliénation dans le grand-Autre;
ne plus confondre sa demande d'amour avec son désir de sujet endécollantle pôle de son désir de la glu des identifications aux objets d'amour en lien avec le pôle de l'idéal ;
fairechuterle Sujet Supposé Savoir en découvrant que sa vérité n'existe pas sous la forme d’un savoir que l’Autre détient, mais qu'elle n'est que manque qui cause le désir inconscient.
Distinction entre deux espèces d’identification : celle où se constitue le moi et celle qui fait la division du sujet
Après le passage par différentes formes d'identification aux objets d'amour appartenant au registre du moi, la cure analytique est donc une opération qui s’achève avec la découverte d’une autre identification qui n'est plus une unification, mais qui équivaut à l'introjection10d’un manque, un manque constitutif de la chaine signifiante du désir. De sorte qu’on peut dire que l’analyse prend fin avec la découverte de la structure du désir11.
L'interprétation
C'est ce qu'ouvre notamment l'interprétation. L'interprétation du et dans le transfert révèle, non pas le transfert, mais le manque en sous-bassement qui se signifie à partir de l’inconscient à propos de ce transfert. On devrait d'ailleurs plutôt parler de « désinterprétation », dans le sens d'une levée de sens, d'une coupure sur la voie de la signification qui viendrait évaporer la couche des identifications aux objets d'amour qui comblait et masquait la question du manque.
L'angoisse comme indicateur
Cela ne va pas sans angoisse. L'angoisse est donc un bon indicateur de l'évolution de la cure et du rapport au désir. Le même phénomène se produisant hors de l’analyse pourrait être la cause d'une demande d'analyse, justement en raison de l’angoisse qui en résulterait. Ce genre d'angoisse serait alors très vite tempérée par l’identification à l'objet d'amour dans l’amour de transfert puisqu'il recouvre ce dont on vient de parler12.
Pour le dire autrement, le transfert s’exerçant dans le sens de l’identification à l'objet d'amour apaise l’angoisse en plaquant la place du manque du sujet dans un registre où ce sujet divisé serait reconnu comme entier. L’analyste utilise de son côté le transfert pour marcher à contre-courant afin de contrer l'effet d'aliénation du sujet dans l'objet d'amour.
La « névrose de transfert » : répétition des liens du passé ?
Il est important maintenant de bien faire remarquer que la dimension externe du transfert, c'est à dire ce qu'il se passe entre l'analysant et l'analyste est articulée à la structure de l'analysant. C'est ce que résume la question des différentes instances et du dépôt d'objet sur l'analyste dont j'ai parlé,comme si la structure de l'analysant avait pris l'analyste dans son architecture, disais-je. On parle de « névrose de transfert ». A ce titre, il est important de préciser que le transfert ne correspond pas seulement à l’ombre des liens du passé. La forme serait la même en tant que les liens passés se répéteraient ici et maintenant structuralement. Mais le transfert serait l’isolation dans l’actuel du fonctionnement de ses liens qui pourraient être repris en acte de parole.
Découpage du transfert en 3 niveaux
Concernant cette prise de l'analyste dans la structure de l'analysant, si on veut plutôt faire un découpage en différents niveaux, l'accroche transférentielle sur l'analyste pourrait apparaître comme un levier externe qui servirait à déplacer d'autres dimensions internes - c'est à dire dans la tête de l'analysant - qui seraient les véritables enjeux de la cure. On peut identifier deux niveaux internes en connexion avec ce levier externe qui passe par l'analyste.
Le premier niveau interne, celui qui serait le plus « au fond » du psychisme, concernerait les mouvements des représentations pulsionnelles. C'est le niveau inconscient où se mobiliserait ce qui vient représenter les pulsions.
Le deuxième niveau interne, comme une deuxième couche qui se superposerait, concernerait la mobilisation des connexions du premier niveau avec la parole. Ces connexions correspondraient à un niveau où se mobiliseraient les représentants des représentations (représentations du premier niveau). Et ces représentants du deuxième niveau pouvant être parlés au cours de l'association libre qui se déroule dans la cure, ils pourraient devenirconscients. Ça serait donc un niveau important puisque la parole pourrait y agir. Elle pourrait y agir en nous permettant de nousextraire de nous-même quand on s'adresse à l'analyste.
La parole deviendrait ainsi réflexive avec le troisième niveau du transfert. Gerard Pommier13critique que seulement ce troisième niveau aurait capitalisé le sens du mot « transfert », alors que son intérêt ne serait que de servir les deux premiers niveaux qui importent davantage du point de vue de la cure et de son effet thérapeutique. A mon sens, si on ne confond pas suggestion hypnotique et transfert analytique, l'un ne peut aller sans l'autre. D'où l’intérêt de toute cette théorisation psychanalytique : avoir une idée de la place que prend l'analyste au sein de la structure de l'analysant, afin de s'en servir pour aider l'analysant à se repérer dans sa structure. Il ne s'agit donc pas de dédier les transferts internes à la personne externe de l'analyste. Cela risquerait d'aboutir à une impasse.
Le paradoxe du transfert : impasse et moteur de la cure.
On tombe ici sur le paradoxe bien connu du transfert qui apparaît en même temps comme l'impasse et le moteur de la cure. Pour le dire avec le découpage en niveaux, le troisième niveau du transfert permet à l’analysant de s'orienter. Mais il revient à l'analyste de savoir faire avec, pour le bénéfice des transferts « internes », c'est à dire pour le bénéfice de ce qu'il y a dans la tête de l'analysant. La parole de l’analysant est effectivement davantage orientée vers... l'analysant lui-même, plutôt que vers l'analyste. C'est à dire justement vers ce qui lui serait propre, interne, latent et qui chercherait à se libérer en passant par l'analyste. L’impasse potentielle tiendrait à ce que l'analyste «aimante» trop la parole. Par conséquent, l'analyste se devrait de ne pas trop « aimanter » le transfert. Pour cela, il se devrait de ne pas trop aimer, non pas qu'on luicause, mais qu'on lecause ! D'où la nécessité d'avoir fait lui-même sa propre cure dite didactique, afin qu'il ait pu lâcher cette impasse de la recherche narcissique14. C'est à dire qu'il ait pu faire le deuil de vouloir être l'incarnation de l'idéal sous toutes ses formes comme peut l'être l'identification à un maître sachant par exemple. Au psychanalyste de savoir être un déchet dans le sens d'accepter que le savoir supposé par le transfert n’est rien que représentation, d'accepter d'occuper la place de ce semblant sans lui être identifié jusqu'au moment de la perdre. S'il se doit de maintenir l' « aimantation » du transfert, répondre à la demande qui lui est faite, répondre à l'amour, reviendrait à bloquer sur sa personne le mouvement réflexif vers les transferts internes de l'analysant évoqués précédemment. Cela figerait le « matériel » des récits des rêves, des lapsus, etc... Cela couperait la mobilisation des traumatismes et des symptômes. Cela empêcherait la libération d'une position désirante du côté de l'analysant. Si l’analyste n'a pas à répondre à la demande d’amour15ou de complétude qui lui est faite, c’est pour désengluer la question du manque qui cause la chaine signifiante inconsciente du désir. Sauf nécessité de tempérer l’angoisse qui accompagne forcement ce mouvement de « dés-engluement », l'analyste n'a pas à répondre à la demande, fût-elle une demande d’apaiser la culpabilité nous dit Moustafa Safouan16. Dans l' « horreur de son acte» comme le dit Lacan, l'analyste ne doit rien donner, et, dans la mesure où le rien se donne, il se doit de faire comprendre le peu de prix qu’il y attache. Cette non-réponse à la demande ne vise pas à frustrer le sujet comme on dit, mais, comme l’explique Lacan, à faire apparaître les signifiants où sa frustration est retenue. Une reprise, par l'analyse du transfert, de la part de l'analysant lui-même sera alors possible. L’analyse consistera, par là, à défaire les identifications narcissiques à l'objet d'amour dont se constituait le moi. Mais l’analyste, quoiqu’il en soit, est investi du « sujet supposé savoir » et des figures de l'idéal. A lui, donc, de ne pas s’en vêtir de façon à ce que le costume lui aille trop bien.
L’analyste se place ailleurs : Le désir de l’analyste comme clef de l’opération analytique.
Se pose alors une question : d'où doit-il répondre de son côté ? Cette réponse est à trouver non pas du côté de ses qualités d'homme ou de femme, mais du côté de son désir d'analyste. Cela n'équivaudrait pas à son désir de sujet, sauf à le considérer dans sa structure, c'est à dire comme désir de désir. Le désir de l'analyste comprend un « x ». Un « x » qui se maintiendrait à partir de la propre division du sujet qui est en position d'analyste. Un « x » à comprendre comme une sorte d'énigme en réponse à la demande d'amour de l'analysant. Un « x » qui renvoie au manque en maintenant un certain écart. C'est seulement ainsi que le transfert devient analytique et non plus hypnotique. L'analyste aurait à soutenir la question du désir au delà des collages transférentiels, à partir de ce qu'il a lui même découvert à travers sa cure dite didactique. Autrement dit, au-delà de l’amour de transfert, c'est l’affirmation du lien du désir de l’analyste au désir du patient qui permettrait le transfert analytique et le déroulement de la cure.
Critique du contre-transfert.
L'analyse n’est donc pas une situation où transfert et contre-transfert se répondent. Ce qui se présente comme une relation est, à ce titre, une fausse relation. La référence au contre-transfert est un alibi par rapport à ce qui constitue l’axe véritable de l’analyse, à savoir comme on l'a dit le désir de l’analyste. Mais, comme déjà dit, il s'agit du désir de l'analyste en tant que « x », en tant qu'énigme qui maintient l'écart. Dans ce sens, on peut dire qu’il doit veiller à éviter le contre-transfert, c’est-à-dire veiller à ce que son désir à lui, personnel cette fois, n’intervienne pas. Il ne s'agirait pas que son désir personnel se dirige sur la personne de l'analysant. Du coup, tombe la conception du transfert comme dynamique intersubjective : puisqu’il y va du rapport à l’analyste non pas en tant qu’il est un autre, mais en tant qu’il occupe la place du grand Autre barré, c'est à dire grand-Autre comme lieu du langage où la question du manque est inscrite. Il n'y a finalement dans le transfert qu'un sujet qui parle : l'analysant.
Ainsi, l’opération analytique fondamentale est de maintenir la distance entre le point d’où le sujet se voit aimable, et l’ « objet a » cause de son désir. Par là, l’analyse se distingue de l’hypnose qui vient faire se perdre ces deux points dans leur confusion. Leur distinction est possible dans la mesure où le désir de l’analyste va dans un sens opposé aux identifications dont se pave le chemin vers la substitution de l’amour. L'écart à soutenir se retrouvera entre le moi et le sujet, entre l'imaginaire et le symbolique, entre le discours constitué et le discours constituant, entre les énoncés et l'énonciation17, c'est à dire entre ce qui est dit et la manière de le dire, entre le discours manifeste et le discours latent, entre la demande et le désir. Bref, d’après ces développements, la fin de l’analyse réside dans l’assomption de la division maximale.
La chute du sujet supposé savoir et la « liquidation du transfert ».
A la fin, l’analyste déchoit de l’idéalisation dont l’habillait l'analysant. Avec le repérage par l'analysant de l’ « objet a » cause de son désir, au-delà ou en-deça de l'idéalisation de cet objet comme agalma, prend fin la confusion leurrante. L' « objet a » se trouve décollé de l'idéal du Moi. La question du désir se trouve différenciée de la question du « souverain Bien ». Du coup, il se produit la liquidation du transfert. Le transfert « perd sa chair ». Le dépôt d' « objet a » est repris. Ou plutôt, comme je l'ai déjà dit, seule la dimension symbolique de manque contenue dans l'« objet a » serait récupérée. L' « arrachement » de sa dimension de jouissance renverrait le sujet face à sa béance structurale en le faisant passer par une certaine « position dépressive » de « désêtre ». Au final, le transfert se désincarne et permet à l’analysant de se séparer de son analyste parce qu’il ne croit plus qu'il peut en jouir.
Si l'analysant « en aura laissé un bout », un corollaire assez peu évoqué de la mutation engendrée concerne son rapport au « petit autre », c'est à dire son rapport au semblable. Si, avant la cure, la logique de l'analysant était celle du « Moi », dont le rapport au semblable était support du narcissisme et de projections imaginaires - allant de la mise en concurrence avec jalousie, sentiment de menace face au semblable idéalisé renvoyant le « Moi » à son insuffisance ; ou à l'envers : refus du rapport à un autre trop différent pour exister dans cette logique narcissique, d'où un certain racisme non pas naturel mais moïque - le semblable après la cure peut enfin devenir un égal dans toute sa différence... ce qui sera très pacifiant pour l'ancien analysant dans ses rapport avec les autres.
1 Intervention réalisée dans le cadre du séminaire d'introduction à la psychanalyse de la FEDEPSY, tenu par Julie Rolling et Nicolas Janel.
2 Je vous renvoie bien sûr au dernier livre de Jean-Richard Freymann intitulé « Amour et Transfert » où sont grandement développées ces questions.
3 N. Janel – Une fois perdu(e), quelle direction ? … La trace du désir de l'analyste ?- 11 avril 2014, In: nicolasjanel.over-blog.com
4 G. Pommier, (1983), D'une logique de la psychose, p. 265-267, Paris, Eres.
5 « … Cette main qui se tend vers le fruit, vers la rose, vers la bûche qui soudain flambe, son geste d’atteindre, d’attirer, d’attiser, est étroitement solidaire de la maturation du fruit, de la beauté de la fleur, du flamboiement de la bûche. Mais quand, dans ce moment d’atteindre, d’attirer, d’attiser, la main a été vers l’objet assez loin, si du fruit, de la fleur, de la bûche, une main sort qui se tend à la rencontre de la main qui est la vôtre, et qu’à ce moment c’est votre main qui se fige dans la plénitude fermée du fruit, ouverte de la fleur, dans l’explosion d’une main qui flambe – alors, ce qui se produit là, c’est l’amour » (Jacques Lacan, Le transfert, Livre VIII (1960-1961), Paris, Le Seuil, coll. « Champ freudien », séminaire du 7 décembre 1960, version 1991, p. 67 et version 2001, p. 69.)
6 à propos de la logique de la métaphore, voir aussi dans les éphémérides 10 de la FEDEPSY le texte que j'ai intitulé « De quel mythe participe l'introduction de la métaphore paternelle? ».
7 Cela renvoie à la question du trait unaire comme support de l'idéal.
8 Qui fait fonction de réel.
9 Dimension attenante au transfert réel ?
10 Dans le sens d'une identification symbolique... « se réduire au signifiant quelconque » écrit également Moustapha Safouan.
11 M. Safouan – Le transfert et le désir de l'analyste - Le seuil, Paris, 1988.
12 Lorsque l’identification est insuffisante à cadrer la pulsion, l’émergence imminente de celle-ci se signale par l’angoisse. En sens inverse, lorsque la pulsion se trouve bien cadrée, nous observons les manifestations de l’amour de transfert. C’est là la phénoménologie de la clinique analytique (A. Zaloszic – Comment choisit-on un psychanalyste – internet : http://www.psychanalyse67.fr/accueil/myFiles/72_IFDE4G2313.pdf)
13 G. Pommier – Attention à la queue du transfert - Dans La clinique lacanienne 2012/1 (n° 21), pages 107 à 122.
14 “Qui ne sait pas pousser ses analyses didactiques jusqu’à ce virage où s’avère avec tremblement que toutes les demandes qui se sont articulées dans l’analyse, et plus que toute autre celle qui fut à son principe, de devenir analyste, et qui vient alors à échéance, n’étaient que transferts destinés à maintenir en place un désir instable ou douteux en sa problématique – celui-là ne sait rien de ce qu’il faut obtenir du sujet pour qu’il puisse assurer la direction d’une analyse, ou seulement y faire une interprétation à bon escient” ( J. Lacan, Ecrits, p. 636).
15 « L’identification moïque à l’objet d'amour comme régression, parce qu’elle part de la demande d’amour, ouvre la séquence du transfert (l’ouvre et non pas la ferme), soit la voie où pourront être dénouées les identifications qui, en stoppant cette régression, la scandent » (J. Lacan, Ecrits, p. 635).
16 M. Safouan – Le transfert et le désir de l'analyste - Le seuil, Paris, 1988.
17 « où s’articulent les significations reçues et ce qui y interfère au titre de signifiants faisant entendre ce qui s’articule dans l’inconscient comme manque à être » pour le dire avec Moustapha Safouan.