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5 décembre 2019 4 05 /12 /décembre /2019 09:09
Nicolas Janel (22-05-2019)1

 

La question que je pose dans mon titre est bien sûr largement éculée. Tout au long de l’œuvre de Lucien Israël, on retrouve une critique du DSM 3 dénoncé comme excluant déjà la névrose hystérique.

Le DSM 3 a été édité en 1980, et le dernier en date, le DSM 5 est paru en France en 2015, et ça ne va pas en s’arrangeant pour les névroses et l’hystérie.

Lucien Israël nous met en garde quant aux effets de cette tendance : disparition du colloque singulier, désubjectivation de la médecine, médicalisation et pathologisation de tout affect ou de toute pensée, déshumanisation de la psychiatrie, etc.

Mais en même temps, l’hystérie ne se laisse pas faire.

Je cite Israël :

« L’exemple le plus flagrant de cette incarcération, de cet exil de la névrose, c’est cette bible parfaitement révolutionnaire de la psychiatrie, connue actuellement sous le nom de DSM III. Si (…) l’hystérie est morte, on est bien sûr immédiatement tenté d’ajouter : vive l’hystérie. (…) On est tellement convaincu qu’elle est vivante que, pour la faire taire, on la découpe en morceaux et on en répartit un peu partout les pièces détachées du puzzle hystérique. C’est ainsi, si vous vous reportez à ce DSM III, que vous trouverez des morceaux d’hystérie dans le caractère antisocial, d’autres dans le caractère histrionique, et un troisième lot dans le caractère narcissique. (…) Le résultat, (…) c’est qu’il n’y a plus que de l’hystérie partout. (…) Toutes les descriptions qui se trouvent dans ce prestigieux manuel sont des descriptions d’hystériques2. »

Et Lucien Israël de dire par ailleurs :

« Je ne crois pas que la névrose disparaisse ou alors il faudra changer radicalement de psychiatrie, ainsi que de formation des psychiatres, et la plupart d’entre nous n’exerceront plus cette profession à ce moment-là3. »

Où en sommes-nous en 2019 ? Avons-nous changé radicalement de psychiatrie ? J’aimerais dire que je ne sais pas trop, que le jeu entre subjectivation et objectivation a de tout temps été en conflictualité et que cela continue.

De même pour ce qui est de l’exclusion de l’hystérie : a-t-elle déjà cessé de ne pas s’inclure ? Ma pensée est-elle un luxe seulement permis par la bulle oxy-génante encore en place à Strasbourg ? Bulle que Lucien Israël a largement contribué à souffler ?

L’air du temps est-il plus asphyxiant par ailleurs ? Ou est-ce le discours ambiant paranoïaque qui assombrit le tableau ?

J’aimerais être optimiste. Lucien Israël nous y invite en nous encourageant à ne pas considérer que :

« L’étude de la névrose est terminée, mais que nous sommes engagés à ses côtés dans la même lutte4».

Celle du combat hystérique, je cite encore :

« Nous le saisissons dans notre pratique quotidienne au niveau d’une provocation du médecin. Nous l’entendons aussi tous les jours comme provocation à l’égard des conjoints ou des partenaires. Mais au-delà, (…) le défi ne se borne pas à telle ou telle catégorie de personnes mais peut concerner l’édifice social dans son ensemble. L’hystérie est une façon de refuser l’adaptation sociale. Or, il n’est pas nécessaire d’aller bien loin ni dans le temps ni dans l’espace pour découvrir que l’adaptation à certains régimes (politiques) est une aliénation consentie5. »

 

N’oublions donc pas d’avoir notre mot à dire, d’utiliser selon Aragon et Breton, ce « moyen suprême d’expression6 » : 

« Le combat hystérique est un combat pour la réintroduction de la création amoureuse, de la poésie, dans (…) un monde d’argent, d’autorité, de hiérarchie, où chacun est à sa place, dans sa case et ne peut en sortir qu’en sautant hors de la case, c’est-à-dire en se suicidant. L’amour ainsi réintroduit, maladroitement, bien sûr, par l’hystérique, n’est pas une valeur marchande, ne permet pas le développement des multinationales ou la création d’emplois, mais c’est parce que la fonction de l’hystérique est là qu’on essaie de la faire taire7. »

EtLucien Israël nous dit :

« Nul doute que, sur cette pente et dès que d’aucuns en auront les moyens, ce sont d’abord les, ou certains, psychanalystes qui subiront le même sort, puis les psychiatres8. »

 

Pour l’instant, c’est rassurant, on est encore là ! Et je ne vais pas faire davantage un état des lieux de la médecine d’aujourd’hui, où l’objectivité semble quand même avoir tendance à tout étouffer. Or, je rappellerai quand même que selon Israël : 

« L’objectivitéc’est l’élimination du sujet. (…) On élimine le sujet, on exclut l’inconscient, on privilégie les éléments descriptifs fournis par l’entourage. (…) La névrose figée est ainsi rendue inoffensive. [Disparaissant en tant que névrose] pour devenir une maladie parfaitement incurable, donc consommant largement les médications chimiothérapiques9. »

 

On était donc prévenu par Lucien Israël. Mais comme je le disais, je m’arrête là, je ne vais pas faire un état des lieux de la médecine actuelle. Mon titre, le jeu de mot est plutôt un hommage à Lucien Israël et au premier livre de psychanalyse que j’ai lu en arrivant en tant qu’interne de psychiatrie à Strasbourg, L’hystérique, le sexe et le médecin10. Ce livre m’avait été donné par un ami co-interne – son chef de service le lui avait conseillé – et c’est en grande partie ce livre qui m’a attiré vers la psychanalyse. En parallèle de la cure et de l’étude des textes, la transmission orale a ensuite opéré pour moi. 

J’arrive donc dans les suites de Lucien Israël, deux générations après me plais-je à fantasmer. Mais comme j’arrive aussi après nombre d’autres analystes : Jacques Lacan, Moustapha Safouan, Michel Patris, Marcel Ritter, Jean-Marie Jadin, Jean-Richard Freymann, Daniel Lemler... la liste est longue, mais j’arrête là mon fantasme de filiation pour dire qu’il y a eu dans cette transmission orale, tout un brassage déjà effectué en amont.

Ce qui fait que pour faire une cuisine personnelle, pour acquérir ce qu’on a hérité de nos pères (pairs ?) et le faire nôtre, selon Goethe, il est repris ce qui est transmis sans forcément situer toujours les apports spécifiques de chacun.

 

Cette journée m’a donc invité à davantage me questionner, et j’ai voulu me cantonner à cela – comme si ça réduisait les choses – à l’hystérie : quels sont les apports spécifiques de Lucien Israël quant à l’hystérie ? Il rappelle souvent la phrase de Lasègue : « La définition de l’hystérie n’a jamais été donnée et ne le sera jamais. » Et Israël ajoute : « en tout cas pas par des médecins », ou « c’était avant la psychanalyse ».

Alors au lieu de chercher des différences de définition, je vais lancer ici un point, à partir de ce que j’ai attrapé dans la transmission qui m’a été donnée. Ensuite, la question sera de savoir comment y articuler quelques apports d’Israël.

 

Alors, ce point est en fait une phrase, elle est de Lacan :

« L’hystérique est un esclave qui cherche un maître sur qui régner. » 

Avec le schéma de la division subjective du séminaire X surL’angoisse, je n’y avais entendu d’abord qu’une quête chez l’hystérique : celle du désir. Comme si le sujet hystérique cherchait à remettre correctement la barre de la castration sur le grand Autre, grand Autre qui ne voudrait pas se soumettre à la loi symbolique, grand Autre incarné par le maître. C’est-à-dire – et pardon pour le manque de poésie – remettre une barre sur grand A (A), pour pouvoir exister soi-même en tant que grand S barré (S), c’est-à-dire en tant que sujet désirant. Comme si la rencontre du maître puissant permettait de retrouver un grand Autre jouissant à partir duquel il fallait entamer les étapes de division subjective du schéma de Lacan pour se constituer en tant que sujet désirant. Comme si faire déchoir le maître finissait d’ouvrir l’ordre de la castration dans lequel l’hystérique n’arrivait pas tout à fait à s’inscrire par défaut d’une loi, une loi pas assez assurée du côté du grand Autre. Conception qui, en passant, collait très bien avec la théorie traumatique de Freud concernant les pères abuseurs, ou à la théorie fantasmatique des pères supposés séducteurs. 

On retrouve d’ailleurs aussi chez Lucien Israël l’idée que si le désir naît de la loi chez l’hystérique, la loi est mensongère ; cette loi qui devrait être contenue dans le discours du père apparaît mensongère.

Donc finalement, l’hystérique nous dirait à travers son fantasme que « la loi symbolique s’érige, en faisant en sorte que l’autorité commence par l’assumer, pour que je puisse connaître l’assomption de la castration et l’accès au désir ! » Il y a là une logique finaliste, celle du désir.

Or, dans le texte de Nicolle Kress-Rosen11figurant dans Psychanalyse et Liberté, on trouve cette affirmation : 

« Ce que demande l’hystérique, ce n’est pas du désir, ce n’est pas la satisfaction du désir, c’est autre chose. C’est de l’amour ».

Faisons déjà la remarque que le désir et la satisfaction du désir, ce n’est peut-être pas la même chose.

À mon sens, la satisfaction du désir est plutôt à mettre du coté de la jouissance. Et c’est par rapport à la non-satisfaction, à l’insatisfaction hystérique perpétuelle que je suis encore tenté de placer l’hystérie, du côté de la quête du maintien du désir qui se maintiendrait justement en ne se satisfaisant pas !

Nicolle Kress-Rosen dit que « ce que demande l’hystérique, ce n’est pas du désir ». Cette affirmation m’a donc semblé d’abord contradictoire. Et puis, en relisant, je me suis arrêté sur le mot « demande » qu’elle utilise. Et on sait bien que la demande en psychanalyse n’est pas à prendre au pied de la lettre. Il suffit d’y répondre pour faire retomber le soufflé du désir. Sauf peut-être chez l’hystérique justement, chez qui ça ne retombe pas autant que chez les autres.

Pareil pour son symptôme, par exemple au grand dam du chirurgien qui vient d’opérer, la conversion se déplace.

Et puisque je parle du symptôme, n’y a-t-il pas deux versants, en compromis, pour un symptôme névrotique : un versant inhérent à la jouissance, allant plus vers le réel et un versant inhérent au désir, allant plus vers la parole. Donc comme le symptôme, commeunsymptôme, la demande hystérique d’amour n’a-t-elle pas deux versants ?

Lucien Israël ne nous le confirme-t-il pas dans sa conclusion de ce séminaire à propos de La jouissance de l’hystérique12 :

« Ce que l’hystérique a à découvrir, [c’est qu’elle] désire être aimée non pour sa perfection, mais pour des imperfections ou pour son imperfection, l’imperfection transmuée en manque. Il s’agit pour elle de dépasser la déconvenue amoureuse purement narcissique, la déconvenue de ne pas rencontrer le maître qu’elle avait construit à son image13. »

Pourrait-on ajouter comme quête initiale de pleine jouissance, via le narcissisme ? Ce qui serait un des versants de la demande d’amour, le premier versant si on raisonne en temps logiques. 

Et Lucien Israël de dire : 

« En effet, l’amour est toujours d’abord narcissique14… »

Lucien Israël semble nous donner confirmation.

Par rapport à Lacan, pour qui l’hystérique fait déchoir le maître, Lucien Israël dit qu’elle ne le rencontre pas, ce qui à mon sens veut dire la même chose.

Et après, comme dans un deuxième temps logique, le versant du désir peut apparaître…

Lucien Israël poursuit : 

« …mais dans l’acceptation de cet autre incomplet existe la possibilité d’une création amoureuse à la mesure de chacun, création où il n’y a plus de modèle, où chacun a à créer sa propre voie. »

C’est donc là, avec l’amour transnarcissique d’Israël que la question du désir se pose : être aimée pour son manque et aimer l’autre de même, dans l’ordre désirant.

J’en conclus que la quête désirante n’est donc pas pure chez l’hystérique. Sa demande d’amour, à la manière d’un symptôme, apparaît comme un compromis dans lequel le maître ou le médecin est pris : compromis entre jouissance et désir. Pour l’aider à un plus de désir, pour l’aider à se désengluer de la jouissance, Lucien Israël nous précise :

« La visée de toute prise en charge psychanalytique de l’hystérique est de l’amener à assumer – terme rebattu – sa castration, c’est-à-dire à se contenter de ce peu. Mais attention, c’est ici que nous sommes menacés par un happement métaphysique, le peu n’est pas un peu de jouir et encore moins un peu de désir ; il est faux, bien sûr, de dire que le désir est désir de tout. Il est peu probable que le désir se manifeste jamais sous forme de désir de posséder des usines, des avions, le pouvoir, voire le plus gros diamant du monde. Ce que je désire, c’est justement un désir assez vif pour investir un objet, n’importe lequel, ça peut être un diamant, pourquoi pas, ça peut être un partenaire hétérosexuel, car c’est cet investissement par le désir du sujet qui rend l’autre désirable, une fois créée cette désirabilité15. »

 

Sans cette désirabilité créée, c’est-à-dire sans cet accès au désir permis, il n’y a pas de rencontre possible. Le désir est ce qui pousse à aller investir un objet ou un partenaire dans sa différence, et n’importe lequel, en fonction de ce désir, toujours sur mesure. Il cause la désirabilité de l’objet, ou de la femme par exemple, et non l’inverse. Le partenaire, comme tout objet, ne pourrait être désirable en soi, sinon il s’agit de perversion.

Et Lucien Israël de dire qu’un homme qui dit désirer une femme parce qu’elle est désirable est pervers. 

Ceci dans le sens qu’à prendre une femme en soi comme désirable, c’est la mettre en place de fétiche. C’est ce que refuse l’hystérique justement, tout en le cherchant bien sûr ! Faire de l’autre un fétiche, ce n’est pas du désir, cela n’implique pas de véritable rencontre.

Àla différence de ce que permet le plus de désir et l’amour transnarcissique apportés par la cure qui ressort ainsi comme un gain humain, aussi socialement !

Et Lucien Israël de préciser :

« Il n’y a aucun rapport entre le peu que je suis au niveau de l’être et une quelconque résignation à un peu de désir ; être peu ne signifie pas peu désirer ou peu vouloir16. »

C’est-à-dire que la perte de jouissance inhérente à la cure, l’assomption de la castration et l’accès au désir n’ont rien à voir avec une quelconque résignation ou acceptation de l’ennui, qui est plutôt du côté de la haine selon Lucien Israël. Il rappelle17à ce titre l’étymologie du mot « ennui » qui viendrait du latin odium.

Il en ressort au final une belle invitation de la part de Lucien Israël concernant le but de notre travail. Ce serait permettre un gain individuel et social, sans nécessité de résignation ni d’ennui !

Je voulais finir par remercier Jean-Richard Freymann d’avoir proposé cette journée qui m’a permis de me replonger dans les séminaires de Lucien Israël ; j’ai pu sentir avec son art poïétique et poétique un effet… revigorant.

Àtous ceux qui souffrent d’ennui dans ce monde qui refuse l’hystérie, je propose de goûter à ses séminaires. 

DansPsychanalyse et Liberté,Jean-Jacques Kress utilisait le qualificatif de « roboratif » en parlant d’Israël… Allez sentir comme c’est vrai aussi en lisant ses textes !

1Intervention réalisée dans le cadre de la 2ejournée consacrée à l’œuvre de Lucien Israël, Les apports nouveaux de Lucien Israël dans les pratiques , 22 mai 2019, Clinique Sainte Barbe à Strasbourg.

2Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher. Essais d’écoute analytique, Paris, Denoël, 1989, pp. 125-126.

3Lucien Israël, « L’étude de la névrose est-elle épuisée ? Conférence à la clinique de La Ramée, Bruxelles, 27 mars 1987. Dans Boiter n’est pas pécherop. cit.,pp. 134-135.

4Ibid., p. 141.

5Ibid., p. 180.

6Ibid., p. 119.

7Ibid., p. 140-141.

8Lucien Israël, « Fin de l’hystérie, fin d’une psychiatrie ? » Intervention à la réunion Association freudienne - Évolution psychiatrique, Paris, 23 novembre 1986. Dans : Boiter n’est pas pécher, p. 206.

9Ibid., p. 214.

10Lucien Israël, L’hystérique, le sexe et le médecin, Masson, 1976. 

11Psychanalyse et liberté. Hommage à Lucien Israël,Collectif, Actes des journées de l’IFRAS en juin 1997, à Nancy. Paru en mars 2000 aux éditions Arcanes.

12Lucien Israël, « 2 janvier 1938 : La Spaltung », dans La jouissance de l’hystérique, Strasbourg, Arcanes, 1996 .

13Ibid., p. 79.

14Ibid.

15Ibid., p. 78-79.

16Ibid.

17Ibid., p. 181.

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