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6 août 2018 1 06 /08 /août /2018 11:44

(Nicolas Janel – 06.06.20181)

« Approche psychanalytique des nouveaux diagnostics ». 

En programmant ce thème, il y a environ un an maintenant, l'idée était pour moi de ré-introduire une certaine ouverture par rapport à ce que je constatais dans mon cabinet : un afflux de patients se présentant avec de nouvelles étiquettes diagnostiques. Par exemple, des patients étant en « burn-out », en réaction à une certaine surcharge au travail. Certains se disaient plutôt, au contraire, en « bore-out ». Cette fois-ci en raison d'un certain ennui au travail, souvent dans un contexte de mise au placard, occasionnant un certain désœuvrement. D'autres patients se présentaient comme « bipolaires »,en raison de variations de leur humeur attribuées souvent à une cause génétique. Enfin, dernier exemple d'étiquette rencontrée fréquemment : « le syndrome de stress post-traumatique ». Dans ce cas les patients se présentaient comme ayant subis un choc qu'ils n'arrivaient pas à dépasser mais qui se traiterait, selon certains médias, par beta-bloquant ou par amphétamines... 

Vous remarquez qu'il s'agit d'étiquettes diagnostiques qui viennent d'un certain discours courant qui dépasse même le DSM. Comme on l'avait évoqué lors de la dernière journée de formation APERTURA, le discours courant apporte un bain à partir duquel les gens ont tout intérêt à se positionner. Or, à chaque fois ici, la cause des maux, comme la guérison, est attribuée à une cause extérieure. Cela fait parti de ce bain là. Ce qui anesthésie d'autant plus les individus qui y baignent. Car cela dénie notre part d’implication et notre part de souveraineté dans ce qui nous arrive. Cette aliénation du sujet dans une étiquette diagnostique figée exclut toute possibilité de mobilisation psychique vers ce qui serait justement la guérison. 

Or, et là je reprends l'argument de cette journée, « Sigmund Freud avait apporté une approche radicalement différente, en considérant le symptôme, non plus comme le signe d’une maladie à éradiquer, mais comme l’expression d’un conflit inconscient venant dire quelque chose d'un sujet. 

Poursuivant, Jacques Lacan avait d'abord repéré dans le symptôme un désir de reconnaissance refoulé. Plus tardivement, il avait articulé le symptôme, en tant qu’effet de structure, aux trois registres que sont le réel, le symbolique et l’imaginaire. » 

Une approche analytique actualisée, au « goût du jour » si je puis dire, c'est à dire en confrontation avec les nouvelles étiquettes apportées par les patients eux-même dans notre pratiques : « burn-out », « bore-out », « PTSD», « bipolaires », « TDHA », « précoce intellectuel », « borderline », etc..., me semblait alors essentielle. C'est la question de l'argumentaire de cette journée: « comment restituer à l’être parlant une place pour sa singularité ? » J'espère qu'on parviendra à y répondre tout au long de cette journée. 

Pour cela, il y a quelque chose que j'ai voulu creusé. Je l'avais déjà un peu étudié quand j'ai fais ma thèse de psychiatrie. Dans celle-ci, j'avais essayé de trouver quelques places possibles pour la psychanalyse, aujourd'hui en psychiatrie. Il y avait avant tout une place dans la pratique, mais concernant l’épistémologie, concernant le savoir scientifique, j'avais relevé un apport de la psychanalyse qui me semble aujourd'hui majeur. 

Il s'agit de l'apport de Lacan concernant l'accès de l'humain à la connaissance. C'est à dire concernant ce qui, à mon sens, est à la base de l'épistémologie, ce qui sous-tend le savoir scientifique, ce qui en détermine sa constitution. Lacan montre comment cela se produit chez chacun, à partir de la constitution de notre propre image. Je vais le détailler à partir de son texte sur le stade du miroir, en faisant aussi quelques références au schéma optique, mais je vous donne tout de suite une citation du séminaire 10 sur l'angoisse : « La dimension du sujet supposé transparent dans son propre acte de connaissance ne commence qu'à partir de l'appréhension de son corps, qu'il essaye de cerner lors du « stade du miroir, à savoir l'image du corps propre, pour autant que, devant elle, le sujet a le sentiment jubilatoire d'être en effet devant un objet qui le rend, lui sujet, a lui-même transparent. L'extension à toute espèce de connaissance de cette illusion de la conscience est motivée par ceci, que l'objet de la connaissance est construit, modelé, à l'image du rapport à l'image spéculaire2».

Cela conditionne chez l'humain une modalité de connaissance que Lacan qualifie de paranoïaque : La connaissance paranoïaque ! Je crois que Lacan a apporté avec ça quelque chose d'énorme, permettant de comprendre pourquoi le savoir cherche toujours à s'unifier dans une pleine connaissance, unitaire et figée, qui concernerait uniquement le réel. C'est exactement comme cela que se constitue notre image spéculaire, ce qu'illustre le stade du miroir. Je m'explique. 

Chez Lacan3, le stade du miroir correspond à cette expérience qui structure chez l'enfant l’appréhension de son propre corps, à travers un miroir et par identification de la part d'un Autre, un de ses parents par exemple. Il s'agit d'un moment de reconnaissance, témoigné par une grande jubilation chez l’enfant, face à son image reflétée sur le miroir. L'enfant reçoit par là une forme unitaire, une unité de son corps, alors que du point de vue de sa maturation physiologique, il n’a pas encore une maîtrise sur la coordination motrice. 

En effet, l'être humain nait immature, dans un état de dépendance, d'impuissance motrice et posturale, d'incoordination des fonctions, de discordance des pulsions. Louis Bolk parle de néoténie4pour qualifier cet aspect d'immaturité à la naissance. 

L'enfant est alors sans capacité aucune de concevoir son corps comme « un », c'est à dire comme une unité. Cette unification passera alors, de manière anticipée, par l'image reflétée sur le miroir. L'enfant anticipe ainsi une unité corporelle dont il n’a pas encore les moyens physiologiques de maitriser. 

Dans ce processus, c'est par un Autre, sa mère par exemple, que l'enfant est identifié. C'est à dire qu'il ne suffit pas que l'enfant se voit dans le miroir, il faut aussi qu'il se retourne vers sa mère qui est présente à côté de lui, et il faut que celle-ci lui confirme que l'image reflétée dans le miroir, qui est devant eux, « c'est bien lui » ! Elle l'identifie. 

De dire que l'image reflétée dans le miroir, « c'est lui », l'enfant : vous entendez tout de suite le leurre constitutionnel dans lequel on est tous pris. Car il ne s'agit que d'une image, inversée en plus ! Je vous renvoie au tableau de Magritte intitulé « La trahison des images5 ». Cette peinture représente une pipe, accompagnée de la légende suivante : « Ceci n’est pas une pipe. ». Cette peinture illustre bien le leurre que produit la confusion entre l'image et l'objet lui même. Car il ne s'agit aucunement de l'objet. Magritte précise qu'effectivement, ça ne reste qu’une image de pipe qu'on ne peut ni bourrer, ni fumer, comme on le ferait avec une vraie pipe ! 

Il y a donc un premier leurre avec la prise dans l'image du stade du miroir. C'est même pire qu'avec la pipe, puisque pour le corps, c'est sur un fond réel morcelé, qu'une image inversée est assumée comme totalité. Et cela se fait sur un mode anticipatoire. Ce caractère anticipatoire comporte un mouvement de décalage, à la fois temporel et spatial, entre l'impuissance réelle du corps comme corps morcelé, et son anticipation comme totalité virtuelle dans l'image. 

Et ce n'est pas tout. La dialectique de l’identification spéculaire ne s’achève pas là. Car ce leurre, ce reflet identifié comme étant l'enfant, l'Autre l'identifie en le parlant. L'image réfléchie va être ainsi arbitrairement authentifiée à partir du désir inconscient de l'Autre et grâce à la saisie langagière qui y sera articulée. Ainsi, l'Autre représentera l'instance symbolique des mots, des signifiants. C'est ce que représente le miroir plan du schéma optique que je ne détaille pas. 

Il y a donc aussi le mur du langage qui s’édifie en travers du réel. Au-delà du leurre de l'imaginaire que j'ai décrit précédemment, il y a donc aussi celui des symboles, des signifiants. 

Dans l'appréhension de son corps, il y a donc au moins deux biais pour l'humain : un biais imaginaire lié à l'image réel ; et un biais symbolique, lié à la saisie langagière de l'image par l'Autre qui identifie l'enfant. Par rapport au réel, l'image spéculaire est comme une illusion au second degré qui fixe l'enfant dans un aspect instantané de l’image. Le moi est une illusion au carré de réel6.

L’importance de tout cela par rapport à la connaissance, et par rapport à la constitution du savoir sur le monde, c'est que cette image spéculaire donne le modèle selon lequel le sujet va identifier dans la réalité tous les objets. Lacan qualifie pour cette raison l’expérience du stade du miroir de« temps essentiel de l'acte d'intelligence7 ».L'unité, la permanence des objets, trouve dans l'identification de la forme spéculaire leur forme première et typique. Tout le registre de la reconnaissance, tout ce que nous pouvons connaître, est fondamentalement articulé à cette image. C’est autour de l’ombre de notre propre moi que se structureront tous les objets de notre monde. Ils auront tous un caractère fondamentalement anthropomorphique, « égomorphique » nous dit même Stéphane Thibierge8

Autrement dit, la connaissance du monde se superpose à la forme où le moi reçoit la constitution de ses objets sur le modèle de la sienne propre. C’est cette forme qui détermine les conditions les plus générales du registre de la connaissance, à savoir tout ce qui se présente au sujet de l’ordre du sensible en général, auquel il adhère, c’est-à-dire à partir de quoi il reçoit un sens, et que ce sens s’intègre d’emblée et sans bruit dans son expérience ( sans bruit car on se se souvient pas ni quand ni comment ni comment notre connaissance du monde s'est faite).

Pour le dire encore autrement, l’image spéculaire qui nous aliène est le seuil de notre appréhension du monde*. C'est par cette première forme, notre forme corporelle, que notre monde prend forme. Toute connaissance des choses passera alors par cet aspect instantané de l’image. Comme déjà mentionné, c’est ce que Lacan qualifie de connaissance paranoïaque« Paranoïaque », car la constitution de cette identité rigide et aliénante, par laquelle nous somme identifiés par l'Autre, possède d’emblée une dimension intrusive et menaçante pour l’humain. Charles Melman9nous dit que : « l’enfant rencontre son image dans le miroir avec ce mouvement qui consisterait à le mettre sous le signe du « c’est ça ! ». À ce qui pouvait, entre autres l’interroger, comme désir énigmatique de la mère, un premier élément de réponse lui serait fourni dans le miroir sous les traits du « le voilà ! c’est ça ! ». Or il semblerait que la rencontre du « c’est ça ! » (…) ne puisse qu’entraîner un phénomène de stase, d’arrêt, de clôture, dans le jeu des signifiants, puisque, si ce jeu des signifiants pouvait présenter quelque énigme, il a trouvé là, dans le miroir, sa réponse. Ce qui restait énigmatique comme signification est là soudainement résolu : « C’est ça ! » Voilà !

En même temps, cette fixation dans la certitude de "ce qui serait enfin la vrai cause" serait persécutrice car elle viendrait de l'Autre du miroir comme on l'a précédemment explicité.

Donc, "je sais que c’est tel diagnostic",  "je sais que c'est tel neurotransmetteur", "je sais que c’est tel gène", "telle altération", "tel traitement ( cf. cas de l'hydroxychloroquine dans le traitement de la Covid-19)"… "C’est ça puisque je le vois sur l'IRM ou l'étude randomisée" ! Et donc "ce que je me permets de repérer comme moment de clôture, de fermeture, d’arrêt : et bien, je m’arrête là ! Je ne veux plus entendre autre chose". 

La connaissance est figée dans le registre de l'unité, de la complétude, où la question du manque et de la différence sont scotomisés. On ne peut tolérer un degrés d'incertitude. Et cela ne peut être autrement que ma certitude, même si ça saute aux yeux des autres.

Cela serait à la base du scientisme qui correspond justement en une croyance où « la science décrirait « vraiment » le monde tel qu'il est » ! Il s'agit là d'une vision du monde, selon laquelle la science expérimentale aurait priorité absolue par rapports aux autres références, qu'elles soient traditionnelles, qu'elles relèvent du vécu, des coutumes ou des religions... Il n'y a là pas de place pour l'« orthodoxa », c'est à dire pour « l'opinion vrai » dont parlait Lacan et sur laquelle je reviendrai tout à l'heure. Le scientisme organise scientifiquement l'humanité,avec une confiance totale dans l'application des principes et méthodes de la sciencemoderne dans tous les domaines. 

Vous voyez qu'avec son article sur le stade du miroir, Lacan balaie en quelques phrases tout ça. Je le cite : « L’expériencepsychanalytique relativise cette conception du moi comme centré sur le système perception-conscience, comme organisé par le "principe de réalité" où se formule le préjugé scientiste le plus contraire à la dialectique de la connaissance, pour nous indiquer de partir de la fonction de méconnaissance qui le caractérise ». 

Plutôt que de « connaissance paranoïaque », on peut même parler d'une « mé-connaissance paranoïaque », qui serait à la base de tout pré-jugé scientiste. Le « mé » de mé-connaissance venant bien entendu reprendre le moi  du stade du miroir. 

Aussi, il est à noter au passage, qu'en dénonçant le système perception-conscience, Lacan s'oppose « à toute philosophie issue directement du Cogito10. » L'expérience du stade du miroir contredit la fameuse formule « je pense donc je suis » à partir de laquelle Descartes a tenté de refonder toute la connaissance. 

 

En conclusion, on peut retenir qu'avec le stade du miroir, Lacan permet de saisir pourquoi le savoir vise un absolu qui serait ce moment où la totalité du discours scientifique se fermerait sur elle-même, dans une non-contradiction parfaite, comme si ce discours était un réel sans contradiction. Il ne s'agit en fait que d'une illusion de réel au carré, se construisant à la manière de l'identification spéculaire. Concernant l'étude de l'humain, on croit qu'il n'y a que du réel, qu'on approcherait sans contradiction. On oubli les registres imaginaire et symbolique, en restant pourtant englué en plein dedans. On les dénie, en ignorant qu'ils sont aussi constituant pour l'humain. Concevoir un savoir unitaire sur l'humain est un leurre. Ce leurre provient de notre manière de nous être constitué, à partir de l'unification de notre image. 

La cure analytique témoigne qu'à l’échelle individuelle, il est possible de dépasser cela. La forme pleine du moi, où le manque est scotomisé, garde des failles11propices à une réouverture vers une relance symbolique.

De même pour le savoir scientifique. Si une partie de l’expérience humaine est recouverte par un savoir caractérisé par des connexions liées, stables, fixes, ça ne suffit pas par exemple pour appréhender la vérité de l'inconscient. On ne peut se suffire de coller la vérité de l'inconscient au savoir. Une faille est donc aussi à préserver dans le savoir, toujours en se méfiant d'entrer dans un état d'attente d'une totalisation future. S’interroger sur une totalisation future du savoir nous ferait retomber aussitôt dans la question de la connaissance paranoïaque avec sa pleine cohérence formelle. 

C'est en particulier le grand piège des nosographies. La présentation du DSM me semble fonctionner exactement comme cela. Même si cette classification se dédouane de toute recherche de causalité, en apparaissant bien construite, scientifique dans ces aspects, elle décrit des comportements comme s'il s'agissait d'un réel. A la manière de la constitution de l'image du corps sur le réel du corps, il s'agit en fait d'un leurre qui construit des images artificielles prétendant révéler un réel. 

Il est donc important de repérer ce leurre pour éviter à nos patients de trop s'y fixer. Le terrain de l'orthodoxa, qu'on traduit par « l’opinion vraie » et que Lacan reprend dans le séminaire 2, à partir du Menon de Platon, maintient quant à elle la question de la faille inhérente au sujet parlant. Dans le Ménon, Socrate démontre que l’opinion vraie (qui renvoie à l'expérience) peut être un guide aussi bien fiable que la science, concernant les actions humaines. La différence entre les deux, c’est que l’opinion vraie est déliée et instable, elle est en deçà du savoir ; elle peut le précéder, mais elle ne coïncide pas avec le savoir. 

L’opinion vraie se différencie du savoir qui, lui, est coupé de sa vérité naissante. Plus nous en savons, plus les risques sont grands de retomber dans un savoir qui méconnaîtrait son propre sens, qui serait dénoué de la vérité naissante de la parole et de ses effets dans le lien social.

L'othodoxa sépare le plan de la vérité du plan du savoir. Elle concerne davantage l’expérience humaine dans ses rapports avec l'acte où la vérité est créatrice. Sonraisonnement suit d’autres façons de procéder : par hypothèses, elle tient compte de la particularité et de l’existence. Elle concerne le champs que le politicien ne peut ignorer, étant lui même toujours confronté à l'acte. Le plan de l’orthodoxa12est celui auquel le psychanalyste doit non seulement s’intéresser mais aussi bien sur lequel s’entraîner. Il est celui qui coïncide le plus avec la pratique psychanalytique. Ce qui ne veut pas dire que le plan du savoir lui est complètement étranger, mais il doit savoir que ce n’est pas la dimension dans laquelle il opère : « Tout ce qu’on vous enseigne sous une forme plus ou moins pré-digérée dans les prétendus instituts de psychanalyse , stade sadique, anal, etc., tous ça est bien entendu fort utile, surtout à des gens qui ne sont pas analystes. Il serait stupide qu’un psychanalyste les néglige systématiquement, mais il faut qu’il sache que ce n’est pas la dimension dans laquelle il opère. Il doit se former, s’assoupir dans un autre domaine que celui où se sédimente, où se dépose ce qui dans son expérience se forme peu à peu de savoir13».

Ainsi, dans notre pratique, nous somme davantage concernés par la vérité inconsciente qui est un savoir qui reste noué à la parole du sujet. Le sujet y accède par son dire lors d'un échange symbolique avec un (A)utre, en prenant la responsabilité des actes qu’il est amené à poser et qui vont faire événement après coup dans son existence.

1Intervention réalisée lors de la journée de formation APERTURA du 6 juin 2018 sur le thème « Approche psychanalytique des nouveaux diagnostics ».

2Lacan J. (1962-63)– Le séminaire livre X. L’angoisse – Paris, Seuil, 2004 .

3Lacan J. - Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, telle qu'elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique (1949) – Communication faite au XVIè Congrès international de psychanalyse, à Zurich, le 17 juillet 1949 ; In Ecrits, Seuil, 1999 (1966). 

4"Cette théorie du développement de l'être humain (ontogenèse) a été élaborée par Louis Bolk dans les années 1920-1930 en se fondant sur l'observation d'une série de caractéristiques communes de l'homme avec de jeunes primates. Selon cette approche, la boîte crânienne non soudée à la naissance, l'absence de pilosité du bébé ou la faiblesse de l'appareil musculaire sont des marques de néoténie. Dans les années 1970,Stephen Jay Gould a réhabilité les observations de Bolk en les réinterprétant à la faveur des connaissances de la science (évolution en mosaïque). L'importance de la néoténie pour la biologie humaine a été étudiée par Desmond Morris (par exemple dans son ouvrage : Le Singe nu), notamment pour expliquer la désirabilité des caractères juvéniles chez la femme (voir attirance sexuelle). L'hypothèse du caractère néoténique au sens large de l'être humain possède aussi une dimension anthropologique, psychologique et philosophique, soulignée entre autres par Jacques Lacan. Le philosophe français Dany-Robert Dufour a repris cette idée : du fait de son inachèvement, l'homme serait un être intrinsèquement prématuré, dépendant de la relation à l'autre, d'où la substitution nécessaire de la Culture à la Nature propre à cette espèce, et sa place particulière dans l'histoire de l'évolution, l'homme se réappropriant le monde par la parole, la croyance symbolique et la « création prothétique », c'est-à-dire la technique." (Définition wikipedia)

5Magritte R., La Trahison des images, 19281929huile sur toile, 59 × 65; musée d'art du comté de Los Angeles, à voir aussi au musée d'art moderne de Bruxelles.

6Jadin J.-M., La structure inconsciente de l'angoisse, édition Arcanes, Apertura, 2017 ; p.62-68. 

7Lacan J. - Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, telle qu'elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique (1949) – Communication faite au XVIè Congrès international de psychanalyse, à Zurich, le 17 juillet 1949 ; In Ecrits, Seuil, 1999 (1966).

8Thieberg S. - L'image et le double- et L'identification spéculaire.

9Voilà quelques citations de Charles Melman dans son séminaire sur la paranoïa qui éclairent la dimension de persécution inhérente à la constitution du Moi:

"le monde ensuite des objets vient systématiquement projeter une ombre hostile – je crois que les mots sont de Lacan lui-même –, dans la mesure où ils viennent tous se proposer comme à la fois équivalence et rivalité par rapport à cet objet inaugural et essentiel. Et tous ces objets se trouvent dès lors marqués de cette puissance de destruction dans la rivalité implicite qu’ils comportent, comme objets de destruction pour le moi.
Ainsi une dimension paranoïaque, qu’on pourrait qualifier des origines, se trouve mise en place dès le stade du miroir et nous laisse, à vrai dire, dans la perplexité, puisque le phénomène intrusif, lié ici à l’inclusion irréductible de l’Autre, reste évidemment inscrit dans la mémoire, ne serait-ce que parce que c’était pas moins au champ de l’Autre que le repérage pour la mère s’est fait de la qualité de cet enfant. Donc : inclusion définitive dans l’identité de cette dimension de l’altérité, Autre, dont on peut légitimement penser qu’elle est à la source de ce qui est notre antipathie foncière, ce que j’appelle notre xénophobie fondamentale : notre récusation spontanée et invincible de l’altérité, la première bien sûr venant concerner celle qui est inscrite par la différence des sexes. Mais – ce n’est pas moins à retenir – la présence, le surgissement dans le champ scopique de ce qui serait strictement identique, non plus de ce qui est soutenu par la dimension de l’altérité, mais de ce qui peut paraître strictement semblable, l’image du double, est de façon peut-être plus immédiate source de ce sentiment de persécution. Et il est donc curieux que dans ce premier départ, nous ayons à considérer que, aussi bien la dimension de l’altérité que celle du même, celle de l’identique, cette fameuse alternative que Platon met à l’origine de la sympathie fondamentale qui organiserait le rapport des hommes et des choses, le Même et l’Autre, eh bien, que les deux soient pour nous tout aussi difficiles à supporter !
… Lacan a mis en place dès le départ de son travail, ce qu’il appelle notre rapport au monde comme fondé sur la méconnaissance, ce qu’il appellera aussi le mode paranoïaque de la connaissance en tant que c’est elle qui régit notre rapport au monde. Qu’est-ce que cela veut dire ? Avez-vous une idée là-dessus ? Que veut dire « la méconnaissance paranoïaque », « le mode paranoïaque de connaissance du monde » ?
 Cela veut dire qu’à partir du moment où le petit enfant s’est amouraché du moi, il provoque un effet de stase, d’arrêt dans sa pensée puisqu’il a trouvé la cause. Il l’a trouvée : ça, c’est moi. Et dès lors, son rapport aux objets se fera sur le modèle de cette première identification en miroir, c’est-à-dire l’exigence que, à l’image du moi, ses objets soient chaque fois les bons. Ce sont ceux-là ! Et comme la psychanalyse le montre ou le rappelle, le choix de ses objets d’amour ou d’investissement ultérieur sera commandé par les traits, les caractéristiques de cette première figure moïque – la sienne. De là cette vocation que nous avons à ne pouvoir jamais aimer que l’image renvoyée de soi-même. « Paranoïaque » dans la mesure où dès lors que vous affirmez « c’est ça ! », c’est-à-dire que vous affirmez avoir trouvé la cause, le vrai objet, celui qui ne laisse pas de doute, comme dans l’amour c’est « celui-là », à partir de ce moment-là, vous provoquez ce type de bascule du système qui vous met vis-à-vis de lui dans cette disposition où cet objet d’amour devient si facilement persécuteur Et si par hasard, constitutionnellement, du fait de la bonne nature de la personne en cause, il ne l’était pas, persécutif, vous vous arrangez pour que ça vienne !" (Charles Melman- séminaire sur les paranoïas).

(Melman C., Les Paranoïas, Coll. « Poche-Psychanalyse », ERES, 2014. )

10Cogito, ergo sum (Je pense, donc je suis) est une formule latineforgée par le philosophe espagnol Gómez Pereira en 1554, reprise ensuite par René Descartesdont la création lui est souvent à tort attribuée. Chez ce dernier, elle exprime la première certitude qui résiste à un doute méthodique. Cherchant à refonder entièrement la connaissance, Descartes souhaite lui trouver un fondement solide, absolument certain. Cette recherche l'amène à la conclusion que seule sa propre existence, en tant que « chose qui pense », est certaine au départ. C'est cette découverte qu'exprime le « cogito ». Employée en français par Descartes dans le Discours de la méthode (1637), la formule connaît plusieurs variantes dans son oeuvre. En 1641, les Méditations métaphysiques réaffirment le cogito en latin sous une nouvelle forme : ego sum, ego existo (« je suis, j'existe »). Ce n'est qu'en 1644, dans les Principes de la philosophie, que la formule « cogito, ergo sum » est publiée directement en latin.

11Une faille proviendrait de l'incohérence entre le corps réel morcelé d'une part, et l'unité de l'image de l'autre part ; c'est dans cette faille que le « Je » serait moteur de symbolisation.

Une autre faille proviendrait de l'incohérence entre la satisfaction narcissique produite par la polarisation libidinale de l'image d'une part, et l'effet de persécution paranoïaque de cette image d'autre part. Cette incohérence devrait alors faire appelle à un objet tiers pour tenter de se résoudre, ouvrant par là la voie au symbolique. Pour le symbolique, le piège réside ensuite dans un « au delà du principe de plaisir ». Autrement dit, il y a également un risque de fixation pour le symbolique : un risque de prise dans la compulsion de répétition. La compulsion de répétition qui est inhérente à la pulsion de mort, et qui viendrait boucler le symbolique sur lui même, dans la répétition d'un savoir lié par une cohérence formelle, précisément ! Les formes de liaisons propres au scientisme, comme à l’épistémè, correspondent justement à un savoir lié par une cohérence formelle. Or, l’épistémè, le savoir de la science, ne peut pas recouvrir toute expérience humaine.

12Par la suite, Lacan isolera de ce plan de l’opinion vraie un nouveau type de savoir propre au psychanalyste qui sera le champ de la topologie. Nous retrouvons d’une manière explicite le développement de ce prolongement dans l’étourdit où il avance un progrès sur l’opinion vraie du Ménon. Ce progrès sur le Ménon consiste dans le fait que la topologie assure la possibilité de transformer une structure dans une autre à travers la fonction de la coupure. La coupure fait passer d’un dit à l’autre dit, et elle a donc la même fonction du dire.

13J. Lacan, Le Séminaire, Livre II (1954-1955), Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique, Paris, Le Seuil, 1978, p. 30.

 

*post-scriptum:

"Les phobies resteraient aussi un organisateur de premier plan du monde des perceptions et de la connaissance. Non parce que le perceptum s’organiserait entre l’exécrable et le béné- fique, mais parce que la conscience du percipiens dépend de la façon dont il a pris son nom, dans sa lutte contre l’objet phobique. Le « je », divisé entre dedans et dehors, ne se rassemble jamais si bien que sous le coup de la phobie. Il se remparde contre le dehors à la mesure de son angoisse, et la conscience discriminative s’affirme dans sa lutte pour éviter l’objet d’exécration.

La phobie aiguillonne ainsi la pulsion de savoir. Les hommes cherchent à démonter et à comprendre ce qui est le cœur de leur détestation. L’angoisse, et non le danger, donne la mesure du réel. La pensée ratiocinante et les calculs cherchent à éponger le symbole phobique, de sorte qu’il restera oublié derrière la multitude des bonnes raisons. La phobie engendre des théories de la connaissance qui la mangent : nous cherchons à connaître pour résorber notre angoisse (... ). La phobie s’installe dans ce rôle névrotique de « Totem du père ». Son oxymore représente à la fois l’instrument jouissif de la punition par le père, et le prix à payer pour le vœu parricide. La pensée s’enclenche pour résoudre ces contradictions et la rationalisation des phobies n’arrête pas de dévorer du père, manducation dont la culpabilité reconduit nos opérations ratiocinantes de dignes fils de Chronos, hantés par l’émasculation."

(G. Pommier, Du monstre phobique au totem, et du totem au Nom-du-père - Dans la clinique lacanienne, 2005/1 n°9, p. 21 à 46, Ères.)

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commentaires

H
Merci pour cet exposé très instructif. Depuis des années, je voulais comprendre la raison des trois registre, réel, imaginaire et symbolique chez Lacan. Merci pour ces explications.
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