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20 juillet 2018 5 20 /07 /juillet /2018 16:22

(Nicolas Janel- 16-05-20181)

 

Je vous propose de commencer par vous apporter un éclairage psychanalytique sur la manière qu'a l'humain d'appréhender son propre corps.

Il ne faut pas croire qu'on a une approche directe de notre propre corps, c'est à dire de notre corps réel. C'est ce que j'aimerais vous exposer avec ce que Jacques Lacan a formalisé concernant le stade du miroir chez l'enfant, ce dont vous avez certainement déjà dû entendre parler, puis avec le schéma optique qui précise davantage les choses concernant le leurre spéculaire dans lequel on est tous plongé - concernant l’appréhension de notre propre corps et concernant l'appréhension de tout objet aussi d'ailleurs !

 

 

D’appréhender comment les choses fonctionnent psychiquement par rapport au corps, permettra de saisir davantage les enjeux psychiques qui peuvent être mis en question dans le champ de la chirurgie esthétique.

 

 

Alors, d'abord concernant le stade du miroir.

Cette expérience structure chez l'enfant l’appréhension de son propre corps, à travers un miroir et par identification de la part d'un Autre, un de ses parents par exemple. Il s'agit d'un moment de reconnaissance, témoigné par une grande jubilation chez l’enfant, face à son image reflétée sur le miroir. L'enfant reçoit par là une forme unitaire, une unité de son corps, alors que du point de vue de sa maturation physiologique, il n’a pas encore une maîtrise sur la coordination motrice. En effet, l'être humain naît immature, sur le plan neurologique particulièrement. On parle de néoténie pour qualifier cet aspect d'immaturité à la naissance. L'enfant est alors sans capacité aucune de concevoir son corps comme « un », c'est à dire comme une unité. Cette unification passera alors par l'image reflétée sur le miroir. L'enfant anticipe ainsi une unité corporelle dont il n’a pas encore les moyens physiologiques de maitriser.

Dans ce processus, c'est par un Autre ( sa mère par exemple), que l'enfant est identifié. C'est à dire qu'il ne suffit pas que l'enfant se voit dans le miroir, il faut aussi qu'il se retourne vers sa mère qui est présente à côté de lui, et il faut que celle-ci lui confirme que l'image reflétée dans le miroir qui est devant eux, « c'est bien lui »  ! De dire que l'image reflétée dans le miroir, « c'est lui », l'enfant : vous entendez tout de suite le leurre constitutionnel dans lequel on est tous pris. Car il ne s'agit que d'une image ! Je vous renvoie au tableau de Magritte intitulé « La trahison des images ». Il représente une pipe, accompagnée de la légende suivante : « Ceci n’est pas une pipe. ».

Cette peinture illustre bien le leurre que produit la confusion entre l'image et l'objet lui même. Car il ne s'agit aucunement de l'objet. Magritte précise qu'effectivement, ça ne reste qu’une image de pipe qu'on ne peut ni bourrer, ni fumer, comme on le ferait avec une vraie pipe !

Et ce leurre dans le stade du miroir, cette image identifiée comme étant l'enfant, l'Autre va la « colorer » selon sa manière de regarder et de désigner. L'image sera connotée de différents critères venant de l'Autre, sans volonté consciente. Cela pourra être un « bel enfant », un « enfant fort », ou au contraire « fétiche » ou « laid »... tout cela en fonction de la manière que cet Autre aura d’appréhender inconsciemment son enfant, en fonction des circonstances de sa venue par exemple, s'il a été désiré ou non, en fonction de ce qui fait valeurs dans la famille et dans la société, en fonction de la place qu'il viendra prendre par rapport aux générations précédentes et par rapport à ce qu'elles ont vécues, et surtout en fonction de ce qui lui manque, de ce qui cause son désir, à cet Autre.

 

Ainsi, l'humain se retrouve unifié corporellement par une image, telle un costume qui lui collera à jamais à la peau. Un costume qui lui coupera à jamais l'accès direct à ce qu'il y a en dessous, à savoir le réel de son corps. On restera à jamais dans cette représentation de nous même qui nous vient avant tout du regard de l'Autre et qui nous affuble d'un tas de critères qui font notre identité - sans qu'on le sache puisque cette structuration se fait aussi de manière inconsciente chez l'enfant.

 

L'image qu'on se fait de nous même viendrait comme cela : notre « Moi », pour parler en terme freudien. Et vous comprenez que cela dépend beaucoup plus du regard premier de l'Autre, que du réel du corps qui est regardé dans le miroir.

 

 

J'en arrive maintenant au schéma optique qui précise davantage ce que je viens de dire. Vous pouvez suivre ce que je vais dire en prenant le schéma que je vous ai distribué (cf. Le « schéma optique » du séminaire de Lacan sur L’angoisse (d’après Serafino Malagarnera)).

 

Je ne vais pas reprendre avec minutie l'étude de ce schéma assez complexe, mais je vais simplement en faire ressortir les différentes étapes de la constitution de l'image du corps, c'est à dire ce que je viens d'exposer avec le stade du miroir. Ça raconte la même chose, mais de manière plus précise, plus détaillée.

 

Déjà, il n'y a pas un, mais deux miroirs. Il y en a un courbe, concave, que vous voyez à gauche : c'est la courbe xy sur le schéma ; et il y en a un droit, qu'on qualifie de miroir plan, placé au milieu, de manière verticale : c'est le trait vertical au dessus de la lettre grand A sur le schéma, qui représente l'Autre (la mère précédemment évoquée).

Donc, un miroir concave xy, dont la courbure est parfaitement sphérique, ce qui a pour effet de faire refléter les objets qui sont placés devant lui, aussi devant lui ! Je rappelle par là qu'avec un miroir concave, le reflet est projeté en avant du miroir.

Ici, sa concavité étant tournée vers la droite, une chose réelle, par exemple le vase renversé en bas à gauche, qu’on voit à l’intérieur de la boîte ouverte vers la gauche, produit une image de lui-même, appelée « image réelle », i(a), en des points opposés à lui par rapport au foyer de convergence, c'est à dire en haut à gauche sur le schéma. On appel cette image i(a) : « image réelle » en raison de son apparente présence dans l’espace ordinaire, comme si elle était réelle alors qu'il ne s'agit que d'une image.

 

Ensuite, cette image réelle i(a) va se refléter dans le miroir plan, ce qui produit une image qu'on qualifie de « virtuelle » i'(a), en haut à droite du schéma.

 

Le vase renversé en bas à gauche représente le corps réel de l'humain. Ce vase, on n'en a absolument pas accès, puisqu'il est d'abord pris dans l’« image réelle », en haut à gauche, qui représente le corps propre unifié par l'image scopique, après la première étape du stade du miroir.

Dans l'image réelle, le corps est là dans son unité et dans son aptitude à donner une contenance, mais il n'est pas encore authentifié par l'Autre, il n'a pas encore été nommé, il n'a pas encore été authentifié symboliquement. Cette « image réelle » du corps, l'humain ne peut la saisir non plus.

On ne peut percevoir que « l'image virtuelle », i'(a), en haut à droite. Il s'agit du reflet de « l'image réel » i(a), dans le miroir plan placé verticalement et désigné par la lettre A. Comme déjà dit, ce miroir plan représente l’Autre, la mère par exemple, c’est-à‐dire l'instance symbolique nécessaire à l’authentification des images réfléchies grâce à leur saisie langagière. On peut qualifier ce miroir plan de miroir des mots. Sans cette authentification par les mots, les images et les choses qu’elles représentent n’existerait pas pour l'humain.

 

Mais en sa présence,et sous un certain angle de vue, le sujet humain, figuré par l'œil en haut à gauche qui regarde vers ce miroir plan, peut voir le vase, i’(a), debout dans l’espace dit virtuel du miroir, c’est-à‐dire dans sa profondeur apparente et non réelle. Il s’agit donc de l’« image virtuelle » d’une « image réelle » du vase.

 

Avec ce « schéma optique », Lacan nous montre donc que dans l'appréhension de son corps, il y a deux biais pour l'humain : un biais imaginaire lié à l'image réel ; et un biais symbolique, lié à la saisie langagière de l'image par l'Autre. On peut aussi dire que le vase est visible dans le miroir plan en haut à droite après un passage à travers deux virtualités ou plutôt deux irréalités créées par un miroir sphérique et un miroir plan. Le vase virtuel est comme une seconde illusion, une illusion au second degré2. Cela représente ce que l'humain peut saisir de son corps.

 

 

Les demandes en chirurgie esthétique sont formulées à partir de là. Ces demandes pourront donc renvoyer à des problèmes concernants les différents étapes du schéma optique, ceci dans l'illusion que le problème ne vient que du vase en bas à gauche, c'est à dire du corps réel. Mais il peut plutôt s'agir de problèmes attenants aux registrex imaginaire ou symbolique, c'est à dire à des problèmes davantage psychiques et inconscients, renvoyant à la façon d'avoir été identifié dans l'image et dans les mots.

 

Une question attenante au registre imaginaire ou au registre symbolique peut, n'ayant pas de réponse dans le registre concerné, se déplacer alors vers le registre réel, celui du corps. Ainsi, l'imaginaire ou le symbolique étant malmenés, le corps le prend à son compte, il se marque, ici par la chirurgie, mais aussi parfois par le tatouage ou le piercing. Alors, le corps se « re-marque » ! Et on a tous plus ou moins tendance à faire cette erreur commune dont parlait Jacques Lacan, de « confondre l'organe avec le signifiant ». On est tous plus ou moins pris dans cette illusion qui nous pousse, sans qu'on le sache, dans un déplacement de registre : un déplacement des registres symboliques et imaginaires, vers le registre réel.

 

Mais quel est le risque ?A trop glisser de registre, à trop « prendre son corps pour un meuble » qui serait à astiquer, à re-proportionner, à décorer, quel risque encoure l'homme moderne ?Certainement une perte d'attache avec les tissus symbolique et imaginaire, qui pourtant, comme je l'ai illustré, nous constituent. Trop les négliger, n'est pas sans effet de retour, à termes de décompensation psychotique, paranoïaque, ou de fixation irrémédiable dans la réponse chirurgicale, avec quêtes chirurgicales sans fin, inéluctablement insatisfaisantes ; ou encore, des états post-traumatiques liés à une certaine effraction du réel par la chirurgie, etc...

 

Mais les choses se passent habituellement plutôt bien, car, à mon sens, ce n'est pas qu'une question de réel du corps qui est touchée par le chirurgien plasticien.

Toute opération en chirurgie plastique brasse l'ensemble des trois registres, l'ensemble des étapes du schéma optique : on modifie le réel du corps, tout en apportant un nouveau regard, avec une nouvelle saisie langagière. La modification chirurgicale n'est donc pas que modification de chaire, mais s'accompagne d'un « re-brassage » automatique des autres registres, d'autant plus que le patient est accompagné.

C'est une hypothèse, mais je me demande, étant donné que ça réussit la plus part du temps bien - statistiquement les gens sont satisfaits et ne s'effondrent psychiquement pas - je me demande si ce n'est pas, en grande partie, grâce à cette nouvelle relance du stade du miroir ou du schéma optique ? Une nouvelle relance qui peut mieux se faire qu'avant... Ça serait une piste à approfondir.

Car finalement, statistiquement également, les « psy » sont assez peu demandés. Pour cela, il faut que le chirurgien sente que « ça coince ». C'est à dire, qu'il y ait une question symbolique ou imaginaire assez fixée pour que ça ne puisse pas « re-circuler » dans ce « re-brassage » dont je viens de parler. Ce que les chirurgiens sentent très bien généralement, mais sans pour autant pouvoir l'identifier. C'est là que les « psy », je dirais, ont leur « utilité ».

 

Je parlais également de l'accompagnement des patients : je crois que si on veut que ça continue a bien se passer, il faut permettre cette « re-circulation » du stade du miroir ou du schéma optique. Pour cela, il faut de l'Autre, il faut qu'on parle avec le patient, qu'on le regarde. Il ne faut pas uniquement se cantonner à la pure technique qui ne concerne que la chaire du corps. Je crois que c'est le rôle non seulement du chirurgien, mais aussi des infirmiers, de tout le personnel soignant qui accompagne justement, et qui doit connaître cette importance, qu'on peut qualifier d'humaine. Je crois que c'est surtout ça qu'il est important de vous transmettre.

1Cours effectué dans le cadre du Diplôme universitaire de chirurgie plastique, « peau, plaie, et cicatrisation et forme », à la clinique de chirurgie maxillo-faciale de l'hôpital Civil de Strasbourg, Université de Strasbourg.

2J.-M. JADIN, La structure inconsciente de l'angoisse, édition Arcanes, Apertura, 2017 ; p.62-68.

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