Nicolas Janel1
10-05-2016
Introduction
Avec le terme unique de jouissance, Lacan condense de nombreuses modalités de la jouissance (Genuss) qu'il a pu décrire : horreur, déplaisir, insatisfaction, douleur, dégout, masochisme, jouissance sexuelle, etc... Ces dernières à priori distinctes, Lacan va les déployer dans leur articulation commune à la structure dont se détermine le sujet. Cela permet une économie conceptuelle considérable.
Mais plus Lacan s'avance dans l'élaboration de la jouissance, plus les définitions s'additionnent : jouissance de la Chose, jouissance de l'Autre, jouissance de l'être, jouissance phallique, plus-de-jouir, jouissance féminine. On ne peut plus parler de la jouissance, mais des jouissances, que l'on s'efforce alors de cerner par des formalisations de plus en plus complexes, jusqu'aux nœuds borroméens.
La parole, diaphragme de la jouissance2
A partir de la lecture de deux ouvrages : « La jouissance, un concept lacanien »de Nestor-a BRAUNSTEIN et « les di(t)mension de la jouissance » de Patrick Valas, je vais proposer, sous une forme de compte-rendu de lecture, d'appréhender les structures cliniques comme des façons de prendre position face à ces jouissances. Mais avant cela, je vous propose très rapidement de les re-situer, de les distinguer afin de pouvoir un minimum s'y repérer.
Je vais commencer par essayer de clarifier l'expression « jouissance de l'Autre » (l'Autre qui s’écrit avec un grand A). Car étant donné la polyvalence du grand Autre lacanien, cette expression porte effectivement à confusion. On peut donner 3 définitions différentes au grand Autre, ce qui donnera trois modalités de « jouissance de l'Autre » différentes :
Jouissance de l’être (de la Chose, mythique) : soit il s'agit du corps en tant qu’Autre, un Autre radical, hors langage, siège d’une jouissance liée à la Chose, impossible à symboliser. Cela concerne la jouissance que Nestor Braunstein appelle, comme le fait aussi parfois Lacan, la « jouissance de l’être ». Le corps comme Autre, est étranger au sujet dans la mesure où il soutient les aspirations interdites d'une jouissance mythique qui antécéde de manière rétroactive la prise dans le langage. Cette jouissance de l'être est référée à l’Un, cet Un d’où nous, les parlêtres, sommes délogés par l’intervention invocatoire de l’Autre du langage qui scinde la subjectivité ; qui interdit l’Un en nous séparant de la Chose.
Jouissance phallique (du signifiant, langagière) : soit, deuxième définition, il s'agit de l’Autre, du grand Autre précisément comme l’Autre du langage, de la Loi et du code, du lieux du langage dans lequel se constitue le sujet. Cela concerne la jouissance qui passe par l’articulation langagière soumise à la Loi, jouissance désignée chez Lacan comme « jouissance phallique ». Ici, L'Autre du langage se caractérise d'être selon l'expression de Lacan « le terre-plein nettoyé » de la jouissance, il interdit de faire Un avec la Chose qui n'existe mythiquement que dans l'après-coup de sa perte. La jouissance est forclose du lieu de cet Autre et fait retour dans le réel. L'Autre est barré, séparé de la jouissance de l'être par le signifiant. L’Autre du langage réclame les renoncements à la jouissance qui seront toujours faits à contre-cœur et qui sont au fondement des symptômes et de la psychopathologie de la vie quotidienne.
Jouissance de l’Autre (féminin, ineffable) : soit, troisième définition, il s'agit de l’Autre qui est l’Autre sexe. Sachant que l’Autre sexe ne peut être considéré que comme féminin si on considère que le sexe universel est celui qui est intégralement réglé par le signifiant et par la Loi du phallus. Cet Autre sexe concerne une troisième jouissance, supplémentaire, située au-delà de la castration : « la jouissance féminine ». Il s'agit de la Jouissance de l’Autre sexe, dans le sens subjectif du génitif, c'est à dire de l’Autre sexe en tant que celui qui jouit. La jouissance féminine s’inscrit dans la même région que la jouissance de l’être, marquée comme J.A dans le nœud borroméen, à l’intersection du réel et de l’imaginaire, sans médiation symbolique, comme aussi quelque chose de corporel, étranger à la fonction phallique de la parole.
Voilà pour ces trois modalités de jouissance explicitées très rapidement, que sont la jouissance de l'être, la jouissance phallique et la jouissance féminine. Pour Nestor Braunstein, la jouissance phallique, jouissance liée à la parole, se consommerait dans tout parlêtre comme jouissance langagière, sémiotique, hors-corps. Effet de la castration, elle serait le rasoir qui séparerait et opposerait deux jouissances corporelles, laissées hors-langage : la « jouissance de l’être » d'un côté, mythique et liée à la Chose, antérieure à la signification phallique, appréciable dans certaines formes de psychose et, d’un autre côté, la jouissance féminine, corporelle aussi, qui ne se perdrait pas par la castration mais qui en émergerait au-delà, effet du passage par le langage mais en dehors de lui, ineffable et inexplicable.
La parole apparaîtrait comme un diaphragme de la jouissance. Si le signifiant peut être porteur de jouissance, cela serait dans la mesure où il évoquerait et mobiliserait les écritures enregistrées comme jouissance antérieure et extérieure au signifianti. La parole serait la voie ouverte au parlêtre pour s’approcher de la jouissance perdue qui, elle, serait la jouissance du corps. De telle sorte que, psychose mise à part, il n’y aurait de jouissance du corps accessible que par la voie de l’articulation signifiante. Et il y aurait une autre jouissance, au-delà : la jouissance féminine.
Consommant la jouissance phallique, le sujet n’arriverait à exister que comme effet de l’action de l’Autre du langage sur la chair réelle qui deviendrait corps, dans la mesure où elle recevrait les coupures que lalangage opère dans le flux vital3. Le corps deviendrait carte, parchemin où s’écrirait la lettre qui l’inscrit comme sujet. Un corps serait humain dans la mesure où il s’inscrirait dans ce système de transactions qui échangent de la jouissance pour de la parole.
L'objet a, « plus de jouir », serait produit comme un reste de cet échange. Dans la conception lacanienne du discours, le sujet est l’effet de la chaîne signifiante, il est à la place du signifié d’un signifiant un (S1) qui le représente pour un autre signifiant (S2): à eux deux ils forment la chaîne ; et le produit de cette opération d’articulation des deux signifiants est un reste irréductible, un réel qui est le reste in-signifiant, l’objet inaccessible qui cause le désir et représente la jouissance perdue sous la forme d’un « plus-de-jouir » : l'objet a, ayant échappé au procès de la signifiance, reste de jouissance commémorant sa perte. Entre le sujet et l’objet a ainsi produit en tant que solde qui tombe de la rencontre des deux signifiants, il y a une disjonction. Leur rapprochement est, excepté dans la psychose comme on le verra, impossible. Il y a une hétérogénéité radicale entre les signifiants et le sujet qui en est l’effet de signification, d’une part, et, d’autre part, la jouissance, indiquée par l’objet a. Tout cela est de structure, et tout n'est donc pas signifiant dans la structure.
Transition vers la clinique
Cette synthèse ultra condensée permet maintenant d'ouvrir le chemin vers une clinique de la jouissance, de la façon dont elle est mise en jeu, conjuguée, évoquée, manquée, refusée et reconquise chez chacun. Une clinique de la jouissance qui règlerait éthiquement l’acte analytique à partir de différentiations concernant ces mises en jeu de la jouissance dans chaque structure.
Tout d'abord, ne peut-on pas déjà évoquer une clinique qui aurait à faire à des jouissances non dites, des jouissances qui ne passeraient pas dans le collimateur du diaphragme de la parole ? Nestor Braunstein évoque d'une part, l'autisme et l'infansce comme des corps réduits à leur existence corporelle, des formes de dissolutions de la subjectivité avant l'heure, externes à toute vie de relation, extradiscursives. D'autre part et de manière distincte, Braunstein évoque les phénomènes d'extase mystique se rapportant à la jouissance féminine.
Après, viendrait une clinique de la jouissance diaphragmatisée, réglée par les sphincters langagiers, soumise à la castration et à sa loi4. Les conditions de la cure ne serait ici pas les mêmes, selon que le diaphragme n’existe pas ou trop peu – psychose, ou qu’il ne soit trop fermé - névrose. La psychose consisterait en une installation dans la jouissance ou en un renoncement à la récupérer. La névrose serait définie en tant qu’impossibilité ou difficulté accrue à la récupérer5 :
dans la névrose, la castration ne serait pas la voie vers un bien dire mais une menace qui bloquerait l’insistance du désir et où la jouissance phallique demeurerait rattrapée, refoulée, et se manifesterait, symbolisée mais retenue, par des symptômes qui porteraient sur le corps (hystérie) ou sur la pensée (névrose obsessionnelle). Le dispositif freudien classique de la cure, né justement de l’expérience des névroses, consisterait à créer les conditions de possibilité permettant l'ouverture, c'est à dire le passage de la jouissance à la parole. Jouissance qui réapparaîtrait chez le névrosé, après des métamorphoses langagières, dans les formations de l’inconscient : l’inconscient travaillant sur une matière première qui serait la jouissance et la transformant en un produit qui serait discours, utilisant un instrument structuré qui serait le langage. Ici, la clinique serait celle de la batterie des signifiants qui serviraient quelques fins de jouissance, l’inconscient glissant quelque chose d'une contrebande jouissive, par rapport à une Loi au sein de laquelle dire non serait déjà l'accepté et reconnaître ses contraintes, le refoulé l’admettant avec grande douleur dans le symptôme, le rêve transgressif nocturne l'illustrant, de même que le mot d’esprit ; l’immensité de la jouissance étant condamnée à végéter dans les parcs bien délimités du fantasme, réserves faussement « naturelles »6, ou plutôt prison de la jouissance, jouissance qui y serait mise en scène imaginairement comme possible.
La clinique de la jouissance dans la névrose retrouverait un refoulement qui cache – mais aussi bien qui conserve – une jouissance séquestrée, non disponible pour le sujet et vécue douloureusement comme symptôme. La névrose serait une défense de la jouissance, défense « de » dans le double sens : une protection contre l’accès à une jouissance démesurée et une jouissance qui serait protégée, coagulée, exempte du commerce de la parole. Le sujet de la névrose se défendrait en se dérobant à ce qu’il perçevrait comme un danger dans le rapport à l’Autre : le désir de l’Autre et la jouissance qu'il viserait. Ce désir de l'Autre serait nié par les opérations d’auto-contrôle de l’obsessionnel, il serait maintenu dans l’insatisfaction par l’intrigue hystérique. Cette défense névrotique face au désir de l'Autre et la jouissance qu'il vise serait le trait qui définirait la structure clinique de la névrose. Le rapport à l’Autre du langage serait un champ miné et barbelé de défenses. Le sujet reculerait, effrayé face à la jouissance supposée d’un Autre qui demanderait sa castration. En se défendant de l’Autre, en se justifiant devant lui, en se sentant toujours coupable, le névrosé renoncerait à faire valoir son désir, le sien. Il le confondrait avec la demande de l’Autre, pour éviter le désir de l'Autre, se soumettant ou s’insurgeant, mais néanmoins, vivant toujours en fonction de cette demande. Il reculerait devant la possibilité d’inscrire son nom propre, ce qu'il remplacerait par une demande adressée à l’Autre pour qu’il lui donne un nom : « Comme tu veux ; c’est comme ça que je serai. ». Le surmoi freudien ordonnerait de se soumettre face à la menace de la castration. En demeurant en tant que héritier du complexe d’Œdipe, il serait au fondement de la jouissance du symptôme névrotique et de la culpabilité, d’une jouissance qui proviendrait du recul du sujet devant la castration. Il s'agirait d'une jouissance phallique qui n’arriverait pas à se canaliser dans le discours, qui serait retenue dans le corps, et, pour cela même, apparemment « préphallique ». Elle serait jouissance du signifiant, mais soumise au refoulement secondaire. Autour de la faute et du fantasme de punition7 se tisserait une jouissance morbide qu’on obtiendrait en suppliant et en s’offrant à la demande de l’Autre. De s’accommoder au fantasme supposé de l’Autre et à sa jouissance serait au fondement d’une « névrose de destin », d'une névrose d'échec entrainant l’autopunition, la récurrence d'accidents, des malheurs qui feraient signe d'une abdication sur son désire, désir qui serait aliéné dans le fantasme de la jouissance de l’Autre, cet Autre supposé demander la castration. La faute et les remords seraient ainsi dans l’orbite de la jouissance phallique, de la fantasmatisation masochiste et œdipienne, du châtiment imposé par le recul en face du désir inconscient. Il y aurai ainsi jouissance dans la punition du surmoi, la névrose obsessionnelle en ferait culture. L’exploit de jouir de ne pas jouir ne serait pas l’apanage exclusif de l’hystérique qui se détourne de la jouissance par dégoût. Dans la névrose obsessionnelle, ça serait le trop de plaisir à l'approche de l'Autre qui ferait reculer le sujet. La cure analytique consisterait dans ce cas à une réouverture des sources et des voies interrompues, une re-mobilisation de la jouissance symptomatique.
Dans la perversion, notre clinique de la jouissance retrouverait une tentative imaginaire d'effacement de l’hétérogénéité irrémédiable des jouissances, une tentative de suturer la faille dans le rapport sexuel et dans l'insu du sujet. On resterait avec la perversion dans la dimension de la jouissance phallique, comme pour la névrose. Selon Lacan, la perversion « caricaturerait à peine en l'exacerbant la fonction normale du désir chez l'homme ». Le pervers identifierait plus directement l'objet de son fantasme avec le manque de l'Autre8. Dans sa stratégie, il s'offrirait lui-même comme objet a, pour servir la volonté de jouissance imputé à l'Autre dont il se ferait l'instrument. À la place de la jouissance perdue, manquante, le sujet pervers substituerait imaginairement l'objet a, démontrant ainsi que c'est un objet récupérateur de jouissance. Le pervers prétendrait saisir la jouissance de l'Autre à partir de l'objet a. Mais il échouerait dans son entreprise, aussi bien menée souhaite-t-elle, précisément parce que la jouissance de l'Autre reste impossible. Ainsi, dans un fantasme de savoir jouir9, le pervers tenterait de s’emparer des leviers de la jouissance en en faisant la proie et le gage d’un savoir à la disposition du sujet. Par le déni de la castration pourtant subie, il s'engagerait dans un refus d’une partie de la réalité, se destituant lui-même de sa place incertaine de sujet pour récupérer la certitude que lui donnerait l’objet. En fin de compte, la jouissance du pervers se ramènerait pour l'essentiel, soit à provoquer l'angoisse du partenaire, soit à susciter l'angoisse de l'Autre symbolique qui n'existe pas en lui donnant consistance imaginaire. Ce qu'il rechercherait serait la subjectivation de la jouissance pour pouvoir la maîtriser. La cure analytique consisterait à permettre au pervers, poursuivant sa jouissance, de trouver l’impuissance, c'est à dire la reconnaissance de l’impossibilité réelle de jouir.
dans la psychose, on retrouverait une jouissance produite par la non-instauration (forclusion) du Nom-du-Père, une jouissance non réglée par la castration, une jouissance non soumise aux lois de l’échange et des régulations réciproques, hors de la Loi du désir, une jouissance qui n’aspirerait pas à recevoir de l’Autre du langage une réponse au manque à être, une jouissance inondante, envahissante, illimitée. La « jouissance de l’être » précédemment définie apparaîtrait cliniquement chez ces sujets dont le corps est une scène où s’écoule sans limite la parole de l’Autre, des signifiants non ordonnés par la castration qui produisent en lui d’étranges transformations, où la parole, n'étant pas symbolisée, opère comme un réel hallucinatoire. La jouissance dans la psychose serait liée aux signifiants qui font retour en dispersion comme des choses dans le réel.
Ensuite, dans d'autres cas, notre clinique de la jouissance pourrait avoir à faire à des sorties volontaires du régime des échanges au moyen de drogues, pouvant se transformer en addiction (a-diction) définitive où la jouissance de l’être serait atteint au moyen d’un court-circuit laissant le corps à la merci de l’Autre et de son désir.
Enfin, notre clinique de la jouissance pourrait encourager, une jouissance qui serait qualifiée de « normale » (« norme mâle ») qui serait di-version de la jouissance originaire, régulation de la jouissance par la castration symbolique, après l’intervention du Nom-du-Père. Il s'agirait d'encourager une jouissance déplacée, ayant changée de registre, dénaturalisée, métamorphosée irréversiblement, qui mènerait à faire des transactions sur le marché des échanges où l’on discuterait et où l’on déciderait quel est le quantum de jouissance qui peut être atteint par la voie du désir.
Le devoir analytique de cette clinique de la jouissance serait :
de permettre de s’œdipiser pour transcender la « jouissance de l’être » qui était folle et hors langage,
et puis de permettre de se transœdipiser, aller au-delà de l’Œdipe, pour permettre une sortie ne pas des rets du fantasme, de l’impuissance et du symptôme.
Cela ne viserait pas un dépassement de la fente constitutive du sujet, fente imposée par la structure entre l’Un de la « jouissance de l'être » et l’Autre du langage.
Cela ne viserait pas non plus une résignation mais une prise en charge de la place secondaire de la subjectivité par rapport au savoir, à un savoir sans sujet, écriture objectivée dont le parlant est un effet, dont il est « réponse du réel ».
Pour en arriver à ce résultat, il serait nécessaire de traverser des murailles de compréhension, de sens, de signification, d’attachement aux cadres consensuels de la réalité, aux certitudes partagées, à l’idéologie d’un savoir universalisable.
Cette clinique ne perdrait jamais de vue que le parlêtre jouit mais que sa jouissance l’horrifie et qu’il ne veut rien en savoir. Que l’Un se glisse mais qu’il est en général méconnu dans le discours qui est le discours de l’Autre et que les structures constituées du sujet ont tendance à obturer ce niveau de la jouissance en tant que constituante.
Selon Nestor Braunstein, cette clinique suivrait finalement le fil de l’histoire : je le cite : « celle de Freud avec son appréhension de l’ensemble de la structure psychique dans la lettre 52 et son patient travail d’élaboration qui l’amène à se centrer d’abord sur le travail d’interprétation des formations de l’inconscient. C’est ainsi que s’établit le catalogue des ressources rhétoriques qui permettent de donner un sens aux manifestations apparemment absurdes des processus primaires. Ensuite, progressivement, en s’y résistant, il admet que cet inconscient est déjà traduction et passage par le moulin de la parole d’une réalité plus fondamentale, synchronique, réelle, qu’il dénomme Ça. Et Lacan, plus d’un demi-siècle après, refait le même chemin : il part de l’expérience analytique qui, phénoménologiquement, est expérience de la parole, il se confond en confondant le Ça et l’inconscient dans sa célèbre formule: « Ça parle », et il distingue ensuite les deux plans : tandis que l’inconscient est parole et langue, discours de l’Autre, le « Ça » jouit et est fait de signes. L’inconscient ressort comme n'étant pas seulement le discours de l’Autre mais étant aussi structuré comme un langage. En ce sens, il a deux visages : d’une part, il regarde les écritures du Ça et les déchiffre et, d’autre part, il reçoit les signifiants qui sont ceux de l’Autre, et c’est avec ces signifiants qu’il réalise son travail de lecture. On le trouve ainsi à cheval entre « le noyau de notre être » et les structures de l’échange. En résumé : l’inconscient est déchiffrage de la jouissance et ses produits sont susceptibles d’interprétation. »
La praxis de l’analyse consisterait à intervenir sur le discours en désarmant la trame des significations pour que surgisse ce jouir du déchiffrage d’un savoir qui n’appartient à personne mais dont quelqu’un, le sujet, est l’effet.
1Intervention réalisée dans le cadre du séminaire du mardi de Jean-Richard Freymann.
2« La jouissance, un concept lacanien » par Nestor-a BRAUNSTEIN.
3Perte de vie, cf.séparation.
4Si auparavant il s'agissait d'une jouissance folle, comme l'est aussi la jouissance féminine, ne s'agirait-il pas maintenant d'une jouissance perverse car renversée de côté, trans-férée et ferrée par la parole, méta-phorique ?
5Cf Nestor Braunstein : « Entre la névrose, l’aliénation dans l’Autre, et la psychose, aliénation dans l’Un. Entre l’autre sans l’Un de la névrose et l’Un sans l’Autre de la psychose. Entre la lettre sans lecture de l’Un, de la psychose, et le discours soumis aux codes de l’Autre, qui méconnaît l’essence scripturale de la jouissance dans la névrose. Car la subjectivité navigue entre Charybde et Scylla. Ses naufrages sont la substance de la psychanalyse. »
6le fantasme comme prison de la jouissance :
« Le désir, on ne le précisera jamais trop, qui ne peut se confondre avec cette prison de la jouissance qui est le fantasme, cette construction imaginaire qui le bouche et qui sert à maintenir le sujet éloigné de la jouissance (névrose), ou pour le faire jouer au service de la jouissance de l’Autre (perversion), en faisant semblant de ne pas jouir dans le premier cas et de jouir dans le second. C’est par le phallus (Φ) en tant que signifiant universel que la jouissance est interdite à celui qui parle en tant que tel et que le parlant passera sa vie à la contourner avec ses dires, en vivant sa castration (-φ). Le fantasme, c’est la mise en scène de la jouissance comme possible : il présente imaginairement la fusion du sujet et de l’objet, de la pensée et de l’être, de l’homme et de la femme, du phénomène et du noumène, du rationnel et du réel, du semblant et de la vérité, unis sans faute ni perte. Le fantasme est animé par le désir qu’il endort et qu’il supplante ; c’est la réponse subjective au manque-à-être et c’est aussi ce qui fourvoie le sujet en lui offrant ce masque du réel qu’est la réalité consensuelle, le monde idéologique des significations, le sens. ».
7« On bat un enfant »
8Le changement de statut de l'objet dans le désir –c'est-à-dire la distinction entre l'objet cause réelle du désir et l'objet désiré de valence imaginaire – est encore plus souligné dans la perversion.
9Qui n'est que défense contre ce qui menace le sujet dans l’insondable jouissance de l’Autre.
iTout cela implique une succession d'inscription d'empreintes, à partir d'un chiffrage premier des expériences dans un Ça de synchronie et de permutabilité, puis un déchiffrage des inscriptions du Ça dans une parole absurde et dépourvue de sens qui ressemble plus à un accident qu’à une révélation, interprétation de cette parole insensée de l’inconscient dans un système réglé de significations selon la batterie de la langue et, finalement, traversée de la barrière du sens pour récupérer, après le vagabondage parolier, la vérité d’un sujet exilé de la jouissance.
Cela consiste en un chiffrage de la « jouissance de l'être » par lalangue qui se déchiffre en « jouissance phallique »: je cite Braunstein : « la jouissance phallique se détermine à partir du chiffrage langagier de la jouissance corporelle qui s'effectue au niveau de l'inconscient. Ce chiffrage consiste dans les traces mnésiques constitutives de l'appareil psychique. En effet les perceptions ou impressions du corps, qui se traduisent en signes couchés par écrit, doivent se comprendre au sens de l'imprimerie, comme une expérience du réel laissant une marque, une trace gravée sur le corps, et non pas comme une perception au sens psychologique de ce terme, ce qui supposerait un sujet déjà là percevant une sensation du corps. Pour Freud, l'appareil psychique relève d'un processus d'écriture. Pour Lacan, l'inconscient se produit d'une écriture première, pré subjective, pré signifiante même. C'est écriture est constituée par l'inscription simultanée et sans ordre de signes qui sont des enregistrements, des formes de comptage d'expérience différente du réel. C'est ainsi que Lacan interprète les schémas de l'appareil psychique proposé par Freud dans l'Esquisse, la lettre 52, et l'interprétation des rêves.
Dans un premier temps logique, le travail de l'inconscient, au niveau des processus primaires (entre perception et inconscient) procède par condensation et déplacement des traces mnésiques (opération que Lacan traduit en terme de métaphore et de métonymie). Il s'agit d'un premier déchiffrage de la jouissance prise dans les signes de la perception. À partir de là , l'identité de la perception sera corrélée à sa représentation qui permet de la reproduire. Dans un second temps logique, au niveau des processus secondaire (entre inconscient est préconscient), l'écrit inconscient (la représentation de chose) sera traduit (en terme de représentation de mot), de sorte que le sens énigmatique de l'inconscient soit transféré à la signification du discours conscient. C'est par le biais de ses représentations que l'objet pourra être retrouvé par le sujet. Tels sont les processus par lesquels la jouissance de l'être (ou du corps propre) est chiffrée dans l'inconscient par son appareillage au langage. Cette jouissance « dénaturalisée », mortifié, par son articulation langagière va subir une profonde modification. Cette modification consiste dans le codage phallique de la jouissance qui s'effectue dans le défilé oedipien. En effet la Loi (qui est consubstantielle au loi du langage) en corrélant le désir au primat du phallus donne en même temps à la jouissance sa signification phallique.
Il y a dénaturalisation (chiffrage), puis récupération ( déchiffrage) de la jouissance : « Je crois le moment venu d’une relecture. Pour ce faire, j’utiliserai la plus simple des représentations topologiques : la ligne droite. Elle a deux bouts et à chaque bout nous avons la jouissance. Entre ces deux extrémités se trouvent les processus de chiffrage et de déchiffrage qui permettent de retrouver à la fin ce qui était au début, la jouissance, qui comporte, bien sûr, les marques du processus de passage par les points intermédiaires de cette succession d’états qui la dénaturalisent d’abord et la récupérent ensuite, une fois transformée. Il n’est pas hasardeux d’appeler cette métamorphose sublimation. De la jouissance perdue à la jouissance retrouvée, transmuée. De la jouissance refusée à celle que l’on peut atteindre… » (N. Braunstein)