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21 janvier 2015 3 21 /01 /janvier /2015 16:55

Nicolas Janel – 19.11.2014

 

 

Pour simplifier les choses, vous entendrez que je parlerai parfois « du pervers » et « du névrosé », ou du « fantasme pervers » et du « fantasme névrotique ». En fait, je précise que pour mon propos, cela sera toujours à entendre comme des parts fantasmatiques différentes, pouvant être présentes chez un même individu. C'est à dire différentes parts de l'organisation de la vie sexuelle, orientées par des logiques subjectives inconscientes différentes, mais coexistantes, de manière clivées, dans le fantasme, chez un même individu. Ainsi, je reste dans cette approche proposée par Jean-Richard Freymann où l'on est tous porteur de tous les mécanismes. On a ensuite chacun ses prépondérances.

 

Cela ouvre des possibilités pour la pratique. Par exemple, par rapport au transfert chez le pervers, il y aurait ainsi plusieurs voies d'abord possibles: soit on travaille à partir de l'accroche transférentielle que permettent d'autres mécanismes présents chez le même individu– névrotiques par exemple ; soit on questionne directement ce qui, dans le mécanisme pervers, serait propice à l'accroche transférentielle. Cela fait déjà deux pistes différentes. Je crois que pour un analyste qui pratique dans son cabinet, il s'agit plutôt de la première piste, c'est à dire qu'on travaille à partir d'une accroche venant des mécanismes névrotiques. Ceci-dit, il serait intéressant de questionner ce qui, dans les mécanismes pervers, serait propice au transfert.

 

Par exemple, le pervers n'est pas cause de ce qui s'agence, mais son effet. L'enjeu serait peut-être de créer un lieux où le pervers aurait comme point de départ un mouvement d'annulation du sujet divisé, lui permettant de devenir pur objet, puisque c'est ce qu'il recherche à priori : pur objet du savoir psychanalytique par exemple. Cela lui permettrait de vouloir venir. Reste après à travailler pour mobiliser les chose autrement, c'est toute la question. Autrement dit, l'enjeu des entretiens préliminaires serait peut-être de lui permettre une position première d'aliénation, à partir de laquelle il pourra prendre la parole, et peut-être découvrir ensuite, en cours de route, autre chose, si on sait l'inviter.

 

Dans tous les cas, comme pour le symptôme névrotique, il faut quand même le dire, la possibilité de guérison de la perversion – au sens où l'on peut parler de guérison du symptôme dans la névrose, s'estompe à la mesure de l'acharnement mis par le clinicien. Pour la névrose, c'est finalement pareil, la levée du symptôme ne vient que « par surcroît » dit Lacan. Il ne faut pas oublier cette approche propre à l'analyse. Ceci nous enseigne que si on se focalise sur ce qu'on voudrait effacer ou guérir, le comportement pervers par exemple, et bien cela se renforce. Cela n'est donc pas à prendre « de face ».

 

 

Pour la perversion, ce n'est pas forcément le problème en cabinet. Car ce n'est généralement pas ce dont le sujet se plaint. Ce n'est pas la raison qui le pousse à consulter. Même si on pourrait faire une espèce de symétrie entre la prépondérance des mécanismes pervers d'un individu et sa propension à consulter un psychanalyste, cela ne veut pas dire que le pervers ne vient jamais. En règle générale, plus la prépondérance des mécanismes va vers la perversion, plus la demande de consultation est rare. Ceci-dit, il est faux de dire que des pervers ne se retrouvent pas engagé dans un dispositif analytique. Dans ce dispositif, ils s'y retrouvent, en général, « pour des motifs principalement extérieurs, à savoir les inconvénients et les dangers sociaux de son choix d'objets2 ». On peut ajouter à cela, l'intervention des parents ou la décision du juge... donc, nullement pour abandonner son choix d'objets ou sa pratique.

 

S'ils « atterrissent » chez nous, se pose la question de savoir ce que l'on peut proposer. Ne peut-on pas faire une offre pour ouvrir le devenir du sujet pervers vers autre chose ?

 

Déjà Freud à son époque, ne sortait pas les perversions du champ de la psychanalyse. Au départ, il s'y intéressait surtout pour l'élaboration de sa théorie. Il trouvait que les pervers étaient de bonnes sources d'informations pour comprendre les névroses.

Freud étudie par exemple la formation des perversions et leurs sorts au moment de la dialectique œdipienne. Cela lui permet de repérer que tout névrosé, je cite : « apporte au but sexuel dit normal, un supplément quelconque, qu'on peut qualifier de pervers », et ce trait général suffisait pour lui à dénoncer: « l'absurdité d'un emploi réprobateur du terme de perversion3».

Freud ne disait pas que névroses et perversions étaient équivalentes, mais il posait que la pulsion sexuelle, en tant que telle, n'est pas soumise aux critères normal/anormal et que la distinction névrose/perversion est un effet de la lutte entre la pulsion sexuelle et certaines forces psychiques : « Il est permis de supposer que ses forces participent à la relégation de la pulsion à l'intérieur des limites estimées normales4 ». Freud relevait des déviations quant à l'objet de la pulsion, démontrant l'autonomie de la pulsion et de l'objet. Il relevait également des déviations quant au but sexuel de la pulsion, ce qui ne permettait plus d'aborder la pulsion comme une unité fermée qui aurait une voie normale de satisfaction. Au sens de la pulsion, la perversion est donc normale. Mais si la pulsion partielle, avec ses éléments et ses destins divers, est toujours à tendance perverse, en aucun cas elle n'est identique à la perversion qui, elle, pour se constituer, nécessite une organisation prépondérante de la vie sexuelle orientée par la logique subjective inconsciente du fantasme.

Lacan insistait à son tour, sur le caractère de normalité de la perversion: « pour parler tout à fait scientifiquement de la perversion, il faudrait partir de ceci, qui est tout simplement la base dans Freud (…) : la perversion est normale5 », j'ajoute : au sens de la pulsion.

C'est ce qui organise les pulsions qui définit le mécanisme pervers. La différence entre la névrose et la perversion repose sur des logiques subjectives différentes, qui organisent les pulsions différemment. Ce qui ordonne les pulsions est extérieur au trajet pulsionnel : Freud a identifié différents temps6: oral, anal, phallique. Ce dernier est déterminant chez Freud pour saisir le mécanisme pervers, puisque c'est lors du prima du phallus, pour les deux sexes, que se résout le complexe d'oedipe travaillé par le complexe de castration. Phase phallique, complexes d'oedipe, complexe de castration et perversion sont inséparables.

Donc je résume : la mécanisme pervers n'est pas la pulsion7: la pulsion n'est pas la perversion, le mécanisme pervers nécessite une organisation de la vie sexuelle orientée par la logique subjective inconsciente du fantasme (pervers).8

 

Si la pulsion n'est pas la perversion, une autre distinction est ensuite à faire. C'est celle ci : « le fantasme névrotique est pervers par définition, mais il n'est pas identique au fantasme pervers ». Je m'explique : le fantasme névrotique est pervers par définition, en tant qu'il articule, tout à la fois joint et disjoint, le sujet et un point de jouissance. C'est pour cela que le névrosé rêve de la perversion, car cela soutient son désir grâce à son fantasme. Mais en même temps, le névrosé est horrifié par la perversion.

 

Alors question : si le fantasme du névrosé est pervers, qu'est-ce qui le différencie du fantasme du pervers ?

Cette différence repose sur la relation qu'établie le fantasme entre le sujet et son partenaire, entre le sujet et l'Autre, entre le sujet et l'objet. Cela repose plus précisément sur la différence d'usage qui va être fait du déni de la castration (« Verleugnung » en Allemand, traduit en français aussi par démenti, désaveu, un « louche refus » disait Lacan). Le déni est présent dans la perversion et la névrose. Mais c'est son usage qui fait la différence :

  • Il est maintenue, fixé dans une scène faite d'image dans la perversion: l'érection d'un fétiche à l'âge adulte en est la preuve clinique. Le déni continuera d'occuper une place déterminante chez le pervers. Sa question inconsciente, formulée en termes symboliques, se trouvera, par voie régressive, projetée dans le champ imaginaire narcissique. Cette fixation imaginaire, où priment jeux métonymiques et réponses–passage à l'acte, fonde la spécificité de la dialectique œdipienne perverse, à rebours de la question symbolique et métaphorique de la névrose.

  • Dans le fantasme du névrosé, l'enjeu du déni est repris et travaillé, comme question chiffrée, par le symptôme ou autre compromis.

 

 

Pour le dire simplement, le déni de la castration correspond à dire « non » à la castration qui a été rencontrée. La mère continuera pour une part à garder le phallus. Ce « non » s'inscrit dans l'inconscient et fait par exemple retour dans les rêves avec l'apparition de la femme au phallus : " l'Homelle" comme l'appelait Lacan, qui signe ce refus adressé à la perception (visuelle) de la différence des sexes et de l'absence de penis chez la femme. Les mécanismes pervers, prolongeront cette fixation à une représentation de la femme au phallus, c'est-à-dire une femme non manquante. C'est par exemple à cet endroit que le fétiche viendra prendre sa place : choix d'objet allant dans le sens imaginaire du plein, du non manquant. Toute soustraction de jouissance est déniée.

 

Dans « un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci9 », Freud aborde l'homosexualité, sur son versant pervers, ainsi : « il y a eu dans la prime enfance oubliée par l'individu, un lien érotique très intense avec une personne de sexe féminin, en règle générale la mère, suscité ou favorisé par la tendresse excessive de la mère elle-même, conforté en outre par un retrait du père dans la vie de l'enfant10 ». A « mère sainte, fils pervers » disait Lacan. Mais l'amour de cette mère sainte, ce « lien érotique très intense » dit Freud, n'est-il pas dirigée vers son enfant pris comme objet ? Cet amour n'est-il pas vide concernant l'adresse à un sujet ? En miroir, le pervers, une fois adulte, ne risque-t-il pas, en conséquence, d'être toujours exposé au vide de l'Autre, c'est à dire au vide de son propre lieux de constitution ? C'est à partir de ce point que je me suis questionné sur l'hypothèse d'une tentative de guérison, pouvant être présente chez le pervers. J'y reviendrai tout à l'heure.

 

Ceci-dit, c'est dans ce « lien érotique très intense » avec la mère, que se fixe un face-à-face « mère-enfant » autour de l'enjeu du phallus imaginaire. Il se met en place une scène figée autour de l'enjeu du phallus imaginaire :

  • "phallus" parce qu'il sert à nommer l'absence du pénis chez la mère. Il symbolise cette absence de phallus ;

  • et "imaginaire" puisque ce phallus est attribué, par une opération psychique propre, là où manifestement il fait et fera toujours défaut.

Dans ce face-à-face, il y a une « gélification11 » d'un moment subjectif au cours de l'histoire de l'individu, dans une scène imaginaire qui devient une image fixée. Pour le dire en terme lacanien, cette gélification correspond à un rabattement du symbolique sur l'imaginaire. La gélification correspond à une imaginarisation du symbolique où l'ordonnancement signifiante s'articule comme un jeu purement métonymique. Il y a ravalement de l'enjeu symbolique sur le champ imaginaire. L'effet est une réduction des jeux signifiants, où le manque, la perte, avait sa place, où la coupure était présente par définition ; à une gélification imaginaire, faite d'images et de signes, où toute séparation s'annule. On comprend la différence entre l'acte pervers et le symptôme névrotique. Le symptôme est une question adressée à l'Autre, une parole dont le message est codé. Il y a dans le symptôme névrotique, substitution d'un signifiant à un autre. Ce n'est pas le cas pour le pervers : ici pas de question, mais plutôt une réponse, héraldisée. Le passage à l'acte du scénario, le fantasme pervers, est une réponse, prise dans des jeux métonymiques d'images, de signes, où se met en scène le déni de la castration. Il se met en place une priorité de l'image, système plein où s'englue le désir du pervers dans le champ du narcissisme duel où priment la réciprocité, la symétrie, le toi et moi interchangeables.

 

 

Dans cette gélification, Freud y repère une identification : « le jeune garçon refoule l'amour pour la mère en se mettant lui-même à sa place, en s'identifiant à la mère et en prenant sa propre personne pour modèle12». Ainsi, H. Castanet de dire que « dans son fantasme, c'est féminisé13 que le pervers se trouve impliqué dans sa relation à l'autre ». Le pervers occupe une position féminine subjective obtenue par identification duelle à la mère – mais attention : à la mère en tant que porteur du phallus. De plus, ces jeux d'identification sont multiples : dire « mère phallique » implique que l'identification du sujet puisse se faire à la mère possédant le phallus, mais puisse aussi se faire au phallus (de la mère)14.

Pour le dire en terme lacanien, le pervers s'imagine être l'Autre, afin aussitôt d'y suppléer la place du manque en la bouchant. Ou alors, il s'identifie à l' « objet a » pour assurer la jouissance. Lacan dit que de cette jouissance, il s'en fait « l'instrument15 ».

Si on se réfère aux concepts lacanien d’aliénation/séparation16, on pourrait dire que dans la recherche de jouissance du pervers, Freud repère une mise à mal du processus de la séparation. C'est le processus de séparation qui est mal-mené avec le déni de la castration. A mon sens, Lacan fait un pas de plus, en montrant que cela est redoublé par une mise à mal, également du processus de l'aliénation. Je cite Lacan : « Jouir du corps de l'Autre ne serait possible qu'à le réduire à l'Un, l'annuler comme Autre. Les deux corps ne ferait plus qu'un, union/fusion où le pervers rêve de se confondre avec son partenaire, de n'être plus qu'une seule chaire. Le pervers n'aura de cesse d'ôter la barre sur l'Autre – soit d'annuler que le corps, en tant qu'il symbolise l'Autre, puisse être « aperçu comme séparé de la jouissance17 ». Pour Hervé Castanet18, la visée perverse consiste à proclamer « rendons la jouissance au corps ! », « tel est l'étendard fantasmatique sous lequel il exécute ses pratiques, son effort consistant à donner à voir et à croire que la jouissance peut regagner le corps. Le pervers tenterait de réaliser l'opération inverse de la signifiantisation : il ne s'agirait plus d'exproprier la jouissance mais d'exproprier le langage pour retrouver les forces impulsives ! ».

On retrouve une autre phrase allant dans le même sens chez Lacan : « la perversion est cette opération d'un sujet qui a parfaitement repéré la disjonction où le sujet déchire le corps de la jouissance, mais qui sait aussi que peut-être quelque chose à échapper à la subjectivation du corps – qui sait que tout le corps n'a pas été pris dans le procès d'aliénation19 ».

 

 

Mais alors, j'en arrive à ma question, compte tenu de cette recherche de desubjectivation au plus élémentaire chez le pervers, pourrait-on y voir malgré tout, à la manière du délire pour les psychoses, une « tentative de guérison20» ? Dans une perspective finaliste, quelle serait la visée du pervers ? Bien sûr il y a une recherche de jouissance, mais au delà de cela, peut-on proposer qu'il y ait une dimension de tentative de guérison du sujet ? Je sais bien, cela parait paradoxal, mais quand-même...

 

On sait très bien que cette recherche de desubjectivation ne cesse de rater, le manque ne cesse de persister, engendrant d'ailleurs la répétition des scénarios. La mise à mal de la séparation ne permet jamais de compléter l'aliénation, aliénation dont la mise à mal, non plus, ne permet jamais de retrouver le réel du corps. Ce mouvement bute, se confronte à un impossible. N'y aurait-il pas alors, par effet de retour, comme avec un boomerang, un effet de renforcement d'une existence désirante fragile ?

 

Le pervers tient à l'existence de l'Autre. Rappelez-vous de sa mère sainte qui l'a pris dans un amour presque plein, mais presque vide concernant l'adresse à un sujet. En miroir, le pervers, n'est-il pas toujours exposé au risque du vide de l'Autre, c'est à dire au vide de son propre lieux de constitution ? Plutôt qu'inexistant, le pervers tient à cet Autre comme incomplet, comme devant être complété. C'est ce qu'il réalise en se faisant « objet a » de l'Autre, qu'il personnifie dans son partenaire, comme si l'Autre était un sujet. Ainsi, en se faisant objet du partenaire, le pervers cause la division du partenaire, avec toute l'irruption d'angoisse que cela produit chez le partenaire. Le pervers ne profite-t-il pas de cette division pour renforcer la sienne? Dans Kant avec Sade, concernant le pervers, Lacan écrit : « sa division de sujet lui est tout entière de l'Autre renvoyée21 », comme s'il y avait un effet d'intensification de sa division subjective par effet de retour. Le procès subjectif engagé peut alors se répéter, ouvrant à une multiplicité de comportements ou de scénarios: à évacuer sa division subjective en se faisant objet, le pervers rencontre la division subjective, intensifiée, chez le partenaire, qui lui est renvoyée. Il pourra la réutiliser, comme pour y parer, en s'objectalisant d'autant plus, ré-enclenchant le cycle de renforcement de son ancrage et de sa division. Bref, il produit chez l'Autre ce qu'il essaye d'évacuer de sa propre position de sujet divisé… qu'il renforce ! Et en passant, il s'assure un ancrage en renforçant la consistance de l'Autre.

 

En prime, complémenter l'Autre s'accompagne d'un sentiment de béatitude, de volupté. Si l'Autre se retrouve davantage consistant, lui aussi. Le pervers rencontre le sentiment de consistance propre à l'objet. Herve Castanet dit qu'il se retrouve « lesté du poids de l'objet a » sur le plan imaginaire. Il obtient un double sentiment de consistance d'être en se faisant objet. Cela fait contraste par rapport à la nature d'inconsistance du sujet désirant, sujet qui n'est finalement qu'un effet, sans consistance propre, d'un signifiant représenté auprès d'un autre signifiant. L’opposition entre se faire objet et s'éprouver comme sujet trouve ici une pertinence. C'est en se faisant objet que le pervers trouve un point d'assurance. Le chiffrage de la jouissance localisé dans le scénario fantasmatique donne une certitude d'existence22. Le pervers dénierait ainsi l'impossible saisie du sujet, mais dans une quête d'existence. Plutôt que le néant en tant que vide23 de l'Autre, il préfère se sentir exister imaginairement en tant qu'objet. Il se fait objet-agent de la division de l'Autre qu'il fait exister. Sur un fond toujours masochiste, il garde l'illusion d'un excès d'amour où il est fetichisé comme « une poupée morte, une momie phallicisée24 ». Il maintient un monde précaire plutôt que du vide. Car s'il n'est pas le phallus de sa mère, son monde s'écroule. Ici, le déni de la castration est déni de l'impossible saisie du sujet par lui même, dans une lutte du maintient de l’existence de l'Autre pour exister soit-même : mort-vivant mais vivant quand-même25!

 

En utilisant le partenaire, dans ses scénarios, le pervers tente une certaine modalité d'existence, dans un système qui se répète sans fin, dans un système fermé, qui ne demande rien hors scénarios, et surtout pas au psychanalyste s'il est hors scénarios.

Et si on se rappelle qu'on est tous porteurs de tous les mécanismes, il s'agit ici « du pervers » en tant qu'individu faisant appelle de manière prépondérante à des mécanismes pervers. Mécanismes ayant une efficacité relative, mais une efficacité quand même, dans leur fonction de soutien de sujet. Leur prépondérance est peut-être à prendre comme une conséquence, non pas d'une excès de perversion, mais peut-être plutôt d'un défaut de possibilité de recours à d'autres mécanismes.

Cela me paraît important, parce que si on veut ôter cela, ôter cette « tentative de guérison », pour des raisons légales tout à fait légitimes par ailleurs, une des premières question à se demander serait de savoir ce qu'on peut proposer à la place : des recours à d'autres mécanismes plus propices à la vie en groupe, comme le sont les mécanismes névrotiques par exemple26 ? L'approche à aborder serait celle d'une guérison d'une tentative de guérison. Sinon la thérapeutique proposée ne pourra avoir qu'un effet de menace par rapport à la tentative de guérison du pervers, l'effet du traitement ne serait que celui de « couper l'herbe sous le pied ».

En reprenant ce que j'ai pu dire par ailleurs sur les entretiens préliminaires27, l’enjeu serait peut-être, à chaque prise de parole avec l’analyste, de relancer toute la dynamique du double processus de l'aliénation/séparation, et au passage, de remobiliser ce qui n’a pas fonctionné pour le pervers. Le réel du corps est concerné. Le réel du corps se confronte aux signifiants de l'Autre, signifiants de l'Autre qui accrochent justement la jouissance du corps. Le corps a donc toute son importance dans la prise de parole. Lacan précise justement que « le corps est le fondement du discours11 ». Il qualifie le début des entretiens préliminaires de « jouissance de corps à corps12 ». Puis, il parle de « surdétermination signifiante13 ». La jouissance, quand elle émerge, se trouve prise et organisée par un discours que le sujet doit s’approprier. Le traitement doit donc pouvoir donner corps à cette appropriation. Tenant lieu de l'Autre, l'analyste, s'il garantit une présence qui tient, assurera l'aliénation, permettant de compléter un travail de signifiantisation du corps, ce qui permettra à son tour d'ouvrir la voie de la séparation, sans risquer, si on peut dire, que les signifiants de l'Autre parte avec l'eau du bain de la séparation.

L'amour de transfère mis en place permettant alors à la jouissance de condescendre au désir. Le scénario ou l'acte pervers pourra peut-être se fantasmatiser, les mécanismes se névrotisés...

 

Voilà pour quelques pistes de réflexions, assez optimistes, à propos de la prise en charge de la perversion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1À partir de la lecture du livre de Hervé Castanet, La perversion, Anthropos, 2012.

2S. Freud, Sur la psychogenèse d'un cas d'homosexualité féminine, page 249.

3S. Freud, trois essais sur la théorie sexuelle, Page 73

4S. Freud, trois essais sur la théorie sexuelle, Page 75

5J. Lacan, Le Séminaire, livre XIII, L'objet de la psychanalyse, séance du 15 juin 1966.

6Qu'on peut qualifier, après Lacan, de temps logiques, et non chronologiques.

7La pulsion qui est un effet de la prise dans le signifiant selon H. Castanet (La perversion, Anthropos, 2012.)

8Mais par ailleurs, peut-on concevoir un individu chez qui des pulsions partielles se retrouvent, si on peut dire, à l'état libre, non nouées par une organisation de la vie sexuelle orientée par une logique subjective inconsciente d'une part du fantasme? Car je rappelle qu'à l'envers, c'était un souci de Lacan de savoir ce qu'allait devenir les pulsions partielles une fois le fantasme, qui les noue, traversé en fin d'analyse. Cela me mène à une question : existerait-il deux mécanismes possibles aux conséquences perverses:

  • un mécanisme de structure, reposant sur une fixation du déni de la castration ;

  • un agencement reposant sur des tentatives de satisfaction de pulsions partielles non nouées, libres, non prises dans une part du fantasme, fantasme qui pourrait être tout à fait à prépondérance névrotique par ailleurs ?

  • Et puis, troisième type de cause aux conséquences perverses : comme développé plus bas, il faut dire que le fantasme névrotique est pervers aussi pour une part.

9S. Freud, Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, éditions Points-essais n°658, Paris, 2011, p. 95.

10S. Freud, Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, éditions Points-essais n°658, Paris, 2011, p. 97.

11Expression de H. Castanet (La perversion, Anthropos, 2012.)

12S. Freud, Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, éditions Points-essais n°658, Paris, 2011, p. 98. « (L'homosexuel) a choisit ses nouveaux objets d'amour à sa ressemblance. (…) Les jeunes garçons que l'adolescent aime à présent ne sont évidemment que des substituts et des renouvellements de sa propre personne enfantine, qu'il aime comme sa mère l'a aimé enfant ». La perversion réalise donc à l'âge adulte, une dialectique intersubjective imaginaire, où prime l'identification au partenaire, à partir de l'identification à la mère. Ce que Freud complète en disant que le pervers : « (…) est retombé dans l'autoérotisme, (…) il trouve ses objets d'amour sur la voie du narcissisme ».

13Féminisé et non efféminé, on parle de position subjective, pas de comportements ou d'apparence extérieure.

14H. Castanet relève un troisième jeux d'identification : identification au père imaginaire en tant que l'auteur de la castration.

15J. Lacan, Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien, Ecrits, p.823.

16Dans les suites des trois textes : « prise en charge des psychoses et place de l'angoisse », « la trace du désir de l'analyste » et « existence en création dans l'analyse » (N. Janel- nicolasjanel.over-blog.com ) où la figure de la bande de Mobius est utilisée pour figurer ce qui se met en jeu dans une prise de parole, on peut proposer une approche du mécanisme pervers comme possédant deux faces appartenants à la même bande de Mobius :de manière coexistante et disjointe à la fois, il y aurait :

 

  • d'un côté, le pôle de l’aliénation qui serait le monde de la signification, de la complète compréhension de l’un et l’autre, de l’indistinction mutuelle, dans un monde où il n’y aurait pas de possibilité d’existence, à partir d’une accroche première d’un signifiant venant du grand-Autre (le fameux S1) sur le réel du corps jouissant. L'aliénation est ce qui fait jointure entre le réel du corps et les signifiants de l'Autre, jointure entre la sphère de la jouissance du corps et la sphère de la jouissance de l'Autre.

 

  • en même temps, sur l'autre face de la même bande, le pôle de la séparation où s’opère l’ « ek-sistence » de celui qui parle, à partir d’une dénégation sur l’origine des signifiants venant de l'Autre. Les opérateurs sont les noms du père, c'est l'effet du complexe de castration, dénié par le mécanisme pervers. La séparation est ce qui fait jointure entre le bain des signifiants venant de l'Autre auprès duquel on se constitue, et la réappropriation de ces signifiants à notre propre compte, jointure entre la sphère de la jouissance de l'Autre et la sphère de la jouissance phallique - bornée.

17J. Lacan, Le séminaire, livre XVI, D'un Autre à l'autre, p. 274.

18H. Castanet, La perversion, Anthropos, 2012.

19J. Lacan, Le séminaire, livre XV, L'acte psychanalytique, 31.05.67.

20Pour les psychoses, souvenons nous que Freud appréhendait le délire comme une « tentative de guérison », en repérant comme mécanisme princeps le déni de la réalité. Pour le pervers, le mécanisme princeps repéré est le déni de la castration. En maintenant le parallèle, l'idée est d'étudier le scénario pervers selon le même angle, dans une perspective finaliste.

21J. Lacan, Kant avec Sade, Ecrits, p.774.

22Mais cela reste toujours incomplet, le scénario échoue de par les moyens de son effectuation.

23Vide de l'Autre comme absence de lieux de constitution, venant d'une absence d'adresse de la part de l'Autre – absence d'adresse destinée à un sujet. L'amour de la mère pour l'enfant en tant qu'objet est par contre souvent excessif.

24H. Castanet, La perversion, Anthropos, 2012.

25Cet effet de soutien de la position subjective par le mécanisme pervers s'illustre, en négatif si on peut dire, assez bien en pratique, quand le scénario se trouve démasqué et qu'il chute : après un moment de honte, d'angoisse et de bizarrerie, peut se produire un véritable effondrement subjectif. C'est souvent le cas quand un « non » de la loi intervient. Quand un effet surmoique intervient, lorsque l'autre refuse le jeu et critique, le sujet sur son aspect pervers est découvert comme ne se soutenant que d'un rien pour éviter le vide, un rien dérisoire et factice. Le pole de la séparation ne veut plus se faire mal mené, cela fragilise la position subjective qui se retrouve dépourvue du soutient des mécanismes pervers. La honte vient en renfort contre l'effondrement, en conséquence des autres mécanismes – névrotiques – qui continuent heureusement à le soutenir. Dés lors qu'est démasqué l'utilisation du déni de la castration par justement un « non » qui n'est plus complice... tout s'écroule pour le pervers, l'effet de soutien pour le sujet avec. Si la mise à mal du pôle de la séparation était possible jusque là, c'est peut-être que ce pôle pouvait se le permettre, que cette face de la bande tenait assez bien pour accepter d'être trituré, afin de permettre le renforcement de la structure, en « sens inverse » si je puis dire. C'est là que je placerais le jeu de mot de Lacan : « père-version (c'est à dire version du père), comme seule garantie », dit-il. Peut-on interpréter cette seule garantie dont parle Lacan comme garantie de la fonction du père, qui peut donc même être nié. C'est à dire une fonction assez garantie pour qu'elle puisse être triturée, mal menée ? De plus, que sa soit la seule, des garanties, ne peut-on pas entendre cela en écho à l'absence de garanti de l'ancrage du pôle de l'aliénation ?

26Travail sur les mécanismes névrotiques à partir de l'accroche transferentielle qu'ils ont permis. Les mécanismes pervers restent à part.

27N. Janel :

La trace du désir de l'analyste, nicojanel.over-blog.com

Existence en création dans l'analyse, nicolasjanel.over-blog.com.

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